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Migrants burkinabè revenus de Libye: Libérés de l’enfer, ils broient du noir


Leur quête d’un mieux-être s’est transformée en cauchemar durant leur séjour en Libye. Las de subir les humiliations et sévices de toutes sortes, des centaines de migrants burkinabè ont décidé de rentrer au bercail. En septembre 2017, grâce au soutien de l’Organisation internationale pour la migration, 429 migrants burkinabè ont rejoint leur patrie. Immersion dans la galère de ces rapatriés de Libye.
Mercredi 13 septembre 2017. Il est 15 heures quand un charter en provenance de la Libye se pose sur la piste de l’aéroport international de Ouagadougou avec à son bord, 146 migrants Burkinabè, dont 13 femmes. Thérèse Compaoré fait partie des Burkinabè de Libye qui ont décidé de retourner au bercail, compte tenu des multiples exactions dont ils sont victimes.
Vêtue d’un pantalon jeans bleu-ciel et d’un tee-shirt rouge, Dame Compaoré est la première de ce convoi de septembre, à fouler la terre de ses ancêtres. Munie en tout comme bagages, d’un petit sac à dos noir et d’un sachet bleu, elle rentre au Faso après avoir passé cinq mois de calvaire au pays de Mouhammar Kadhafi. Et c’est avec beaucoup de peines qu’elle cherche les mots justes pour exprimer sa mésaventure. «Ce n’était pas facile, je priais beaucoup pour revenir au pays. Je ne peux pas expliquer ce que j’ai vécue . C’était horrible», murmure-t-elle, encore sous le choc. Le rêve européen de Thérèse Compaoré s’est transformé en un cauchemar dans «l’enfer libyen». «Ils nous ont arrêtés dans le désert et conduits en prison. Les conditions sont très difficiles là-bas, si bien que certains ont perdu la vie. Je ne conseille à personne d’y aller», témoigne-t-elle. A l’image de Thérèse Compaoré, ils sont nombreux, des Burkinabè qui ont fui ce pays, jadis une terre «hospitalière», pour regagner la mère-patrie. D.K, animé par le goût de l’aventure, fait également partie du lot. Parti en Libye, le 3 mars 2012, il revient au pays après y avoir passé 3 ans et 3 mois. Le jeudi 27 juillet 2017, nous le rencontrons alors qu’il revient de la mosquée située à quelques jets de pierres de son atelier de pressing sis au secteur n°7 de Tenkodogo. Fer à repasser en main, l’homme vêtu d’une chemise blanche, s’active pour respecter le rendez-vous de ses clients. Il marque sa disponibilité à parler de son expérience libyenne à la seule condition de garder l’anonymat. L’atelier où des colis de vêtements sont entassés, lui permet juste de subvenir aux besoins de sa famille, confie le polygame. «Avant mon départ en Libye, ma situation était encore meilleure. C’est ça la vie, il faut faire avec», encaisse-t-il en haussant les épaules.
Il abandonne des contrats juteux pour l’aventure
Avant, son commerce de pièces détachées marchait à merveille, dit-il. Mais, il rêvait de faire fortune en un tour de bras en Libye. «Mes frères qui y ont déjà séjourné m’ont rassuré que je pouvais gagner 50 000 FCFA par jour. Après calcul, je me suis dit qu’au bout de six mois passés là-bas, je pouvais revenir avec assez d’argent pour reprendre mon commerce», relate-t-il, le regard fuyant. Ainsi, D.K piqué par le «virus de l’aventure» empoigne son baluchon en direction de Saba, une ville libyenne avec en poche 225 000 F CFA. Lors de son périple, il marque un arrêt au Niger d’où il sollicite auprès de sa famille un appui financier de 50 000 F CFA. En terre libyenne, il va encore emprunter avec son guide 60 dinars (environ 25 000 F CFA) pour sa destination finale. Sur place, il découvre les réalités du terrain. «Mon premier travail a consisté à démolir des murs, enlever les carreaux pour la reconstruction. J’ai évolué dans ce secteur pendant un an et je gagnais moins de 10 000 F CFA par jour», confie-t-il, encore dépité. Ne trouvant pas son compte, il abandonne ce travail pour se lancer dans le pressing, avant de s’investir quelque temps plus tard dans le business. Mon job, s’empresse-t-il d’expliquer, consistait à aider mes compatriotes qui voulaient envoyer de l’argent au pays. A l’entendre, cette activité lui réussissait, car il disposait d’un passeport, contrairement à la plupart de ses concitoyens. Grâce à ce «sésame», il pouvait alors se rendre régulièrement en banque pour les transferts d’argent contre paiement du service rendu. Mais, la crise libyenne va lui être préjudiciable, car les institutions financières vont se fermer les unes après les autres. Voyant ses chances de faire fortunes s’envoler, il prend alors la résolution de revenir au pays.
Si D.K est encore prêt à tenter à nouveau sa chance en Libye lorsque la paix sera de retour, ce n’est pas le cas pour bon nombre de ses compatriotes qui gardent un très mauvais souvenir de leur expédition libyenne. Yacouba Balboné, 45 ans, domicilié à Woumnonghin, village situé à une vingtaine de kilomètres de Tenkodogo, a passé sept mois dans ce pays en 2014. Revenu des travaux champêtres au coucher du soleil, le quadragénaire manifeste des signes de fatigue. Il se «jette» dans son fauteuil, sans trop se soucier de son entourage. Le moment venu d’aborder le sujet, c’est une voix sèche teintée de colère qui nous accueille.
«Je ne conseille pas mon fils de mettre les pieds dans ce pays. Je ne voulais plus me souvenir de ce passé», nous lance-t-il. Puis s’ensuit un silence de cimetière avant qu’il ne se décide enfin à raconter son calvaire, le regard presque embué de larmes. «J’ai été trompé par un ami (Alidou Zerné) qui s’apprêtait à retourner dans ce pays. Grâce à la maçonnerie, je gagnais mieux ma vie ici. Il m’a convaincu qu’avec mon métier, ma situation sera encore meilleure en Libye et qu’il voulait me confier un travail de menuiserie. J’ai donc sacrifié des contrats d’environ 1 million 500 milles F CFA pour le suivre», explique-t-il, avec amertume. Les tentatives de dissuasion de sa famille n’ont aucunement ébranlé la volonté du chef de ménage de mettre à exécution son projet. Le voyage fut périlleux (plus de 20 jours de route), surtout pendant la traversée du désert en territoire libyen. «Notre repas quotidien était le «gari» (farine granulée de manioc). Nous avons découvert des squelettes humains et des cadavres dans de petites mosquées dans le désert», explique-t-il, d’une voix basse et entrecoupée. M. Balboné n’est pourtant pas encore au bout de ses peines. Il sera abandonné par son ami à Godoua, une petite ville libyenne.
C’est alors qu’il se rend à l’évidence qu’il a été dupé. «Nous étions obligés de nous enfermer dans une chambre à cause des bandits qui pullulent dans la cité. Je suis resté trois mois sans travailler avant de débuter par de petits métiers», se remémore-t-il. Fatigué de vivre dans la clandestinité, il décide alors de regagner sa mère patrie. «J’avais appelé au village pour qu’on vende un bœuf, mais mes amis me l’ont déconseillé. Ils m’ont suggéré de continuer les petits boulots pour préparer mon retour. C’est ainsi que je suis revenu au pays les poches vides, après 17 jours de route. Ma famille a dû honorer les frais de transport du trajet Koupéla-Tenkodogo» affirme-t-il.
Sévices corporels, le quotidien des migrants
Aujourd’hui, Yacouba Balboné tente  de reprendre son ancien métier, mais hélas, les portes du marché lui sont quasiment fermées. «Je n’ai plus la clientèle. Je m’adonne pour le moment à l’agriculture dans des conditions assez difficiles. Je me suis mis en retard», regrette-t-il. L’infortuné rend grâce à Dieu, car, dit-il, la situation de sa famille aurait pu être catastrophique à son absence. «A mon retour j’ai constaté que l’éducation de mes enfants a pris un sérieux coup. Certains refusaient d’aller à l’école, mais j’ai pu rectifier le tir», souligne-t-il. Il soutient qu’un de ses proches a vu sa femme le quitter pendant qu’il était en Lybie car cette dernière n’avait plus les nouvelles de son mari. Comme Yacouba Balboné, ils sont nombreux les Burkinabè qui ont vécu des moments difficiles en terre libyenne et qui continuent de broyer du noir au pays. Ounzéogo, un village situé à une dizaine de kilomètres de Garango, passe pour l’un des villages dont le taux d’habitants ayant émigré en Libye est assez élevé. Là-bas, c’est une quinzaine de rapatriés de Libye dont l’âge varie entre 19 et 32 ans que nous avons rencontrés.
Ces jeunes qui ont connu de multiples représailles sont revenus au Burkina Faso grâce au soutien de l’Ambassade du Burkina Faso à Tripoli et de l’Organisation internationale pour la migration (OIM).  Ayouba Zombra, 23 ans, a vécu pendant deux ans en Libye et est rentré en 2016. Les forces de sécurité libyenne, ainsi que les bandits lui ont fait subir toutes sortes d’humiliations. «J’ai fait deux mois en prison et mes frères ont payé 400 000 F CFA pour me libérer. Dans cette aventure, mon
camarade la chambre, Aziz Zabsonré, a perdu la vie », déplore-t-il. Aziz Zombra 25 ans, lui, a été arrêté et enfermé dans un fût pendant quelques minutes. Pour avoir la vie sauve, ses proches ont été obligés de se «saigner» financièrement pour le libérer. Une seconde fois, des hommes en tenue ont débarqué dans leur domicile et ils n’ont eu d’autre choix que de prendre la poudre d’escampette. «Mon ami Hamado Limané a reçu une balle à la cuisse dans notre fuite», raconte Aziz Zombra. J’ai vécu le même calvaire, réplique Mohamoudou Zombra.  Revenu de Libye le 13 juillet 2017, le jeune homme de 32 ans soutient avoir reçu une balle dans la cuisse, ce qui lui a valu quatre mois d’invalidité. La plupart de ces jeunes déclarent être rentrés bredouilles et peinent à joindre les deux bouts. Sibané Hottouma, née en 1952, l’oncle de Boureima Sibané un rapatrié de Libye, reconnaît avoir soutenu son neveu dans cette aventure périlleuse. « Quand il est revenu, il n’a rien apporté. Je continue de lui venir en aide pour ses petits besoins», souligne-t-il, en plaidant pour que les jeunes en pareille situation soient secourus. «S’ils ne reçoivent pas de l’aide, je crains que certains ne s’adonnent à des pratiques peu recommandables. S’ils ont une activité génératrice de revenu ici, cela leur enlèvera toute idée d’aller à nouveau à l’aventure», indique-t-il.
L’OIM le sauveur ?
Adamou Zombra, la soixantaine, partage le même avis. Pour lui, la Libye était une destination sûre pour les Burkinabè du temps du guide libyen Mouhammar Kadhafi. Mais aujourd’hui, elle est devenue synonyme de souffrance, dit-il. «Mon fils Idrissa est revenu au pays parce qu’il était beaucoup persécuté. J’ai vendu des bœufs à 380 000 F CFA pour son premier voyage au Gabon. Les conditions n’y étaient pas favorables, car il a fait la prison. A son retour, je lui ai encore remis 250 000 F CFA pour tenter sa chance en Libye. Cela a donné le même résultat. Il a besoin présentement d’un soutien pour refaire sa vie mais je n’ai plus les moyens d’antan», confie-t-il avec un brin de regret.
Ces jeunes de Ounzéogo rentrés au pays en 2016 et 2017 grâce à l’OIM, s’adonnent aux travaux champêtres. Pour eux, il s’agit d’un nouveau départ et ils disent attendre beaucoup des autorités. «A notre retour à Ouagadougou, l’OIM nous a remis chacun, une somme de 32.500 F CFA pour rejoindre nos familles respectives. Nous leur sommes reconnaissants et continuons de plaider auprès des bonnes volontés pour les réalisations de nos projets», soutient Ayouba Zombra. Il soutient s’être rendu à deux reprises au siège de l’OIM dans la capitale, à la recherche d’informations relatives à un accompagnement promis par l’organisation, mais sans suite. Selon la chargée de projet à l’OIM Burkina Faso, Nathalie Duveiller, le programme actuel de soutien aux migrants revenus au pays pour la réinsertion est très limité. Mais, rassure-t-elle, dans le but de favoriser leur réinsertion durable, l’OIM a développé le programme d’Aide au retour volontaire et à la réintégration (AVRR) des migrants. Pour ce faire, elle précise que chaque migrant bénéficiera d’un appui financier et technique pour sa réintégration. «La phase d’accompagnement comprend, une formation en création et gestion d’entreprise, la rédaction d’un plan d’affaires selon la volonté du migrant, l’achat et la fourniture du matériel et équipement nécessaires à la conduite de l’activité génératrice de revenus», détaille-t-elle.
*Dissuader par la sensibilisation
A travers ces initiatives, l’OIM entend accompagner le gouvernement du Burkina Faso dans ses efforts d’offrir des alternatives et des solutions durables aux migrants burkinabè. De telles initiatives sont attendues par les structures en charge de la jeunesse de la région du Centre-Est car regorgeant le plus de migrants revenus au pays. Selon les données du Conseil national de secours d’urgence et de réhabilitation (CONASUR), sur 771 Burkinabè de retour de l’étranger à la date du 28 juillet 2017, 456 proviennent de cette partie du Burkina Faso dont 326 de la Libye. Outre les questions de pauvreté et de sous-emploi, communes aux jeunes de toutes les régions du pays, l’effet d’entraînement serait la principale cause du fort taux d’immigration dans la zone. Selon la directrice régionale de la femme, de la solidarité nationale et de la famille du Centre-Est, Marie Thérèse Sombougma, la réalité est que certains migrants arrivent à tirer leur épingle du jeu en investissant énormément au pays. «Leurs réalisations sont assez frappantes, si bien qu’elles poussent d’autres jeunes à tenter leur chance dans le but de sortir leurs familles de la misère», justifie-t-il. Cependant, relève la directrice régionale, la majorité des migrants éprouve de multiples difficultés. Pour dissuader les jeunes à se lancer dans de pareils projets à risque, la direction régionale des droits humains et de la promotion civique s’active dans la sensibilisation afin de décourager d’éventuels candidats à la migration. «Nous avons organisé en collaboration avec l’OIM, plusieurs sessions de sensibilisation auprès des jeunes. Nous avons associé le monde éducatif, la chefferie coutumière pour leur expliquer les inconvénients de l’immigration clandestine», note le directeur régional des droits humains et de la promotion civique du Centre-Est, Al Hassan Kaboré. Au cours des séances de sensibilisation, la direction en charge des droits humains projette des images sur les échecs des navires pour dissuader les plus sceptiques.
Abdoulaye BALBONE/sidwaya
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