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Crise au Kenya: Kenyatta et Odinga se réconcilient


Le président kényan Uhuru Kenyatta (à g.) serre la main de son opposant Raïla Odinga le 9 mars 2018 à Nairobi. © REUTERS/Thomas Mukoya

Spectaculaire rebondissement au Kenya. Uhuru Kenyatta et Raïla Odinga ont décidé d’enterrer la hache de guerre. A la surprise générale, le président kényan et son opposant se sont rencontrés vendredi 9 mars au matin. Alors que Raïla Odinga ne reconnaît pas la réélection du chef de l’Etat, qu’il s’est autoproclamé président du peuple, et que les tentatives de dialogue avaient jusqu’à présent échoué, les deux hommes ont annoncé la fin de leurs divisions. Ils ont aussi signé un document inédit pour sortir le pays de la crise.

C’est une poignée de main qui a pris tout le monde de court. Même les principaux alliés de Raïla Odinga jurent qu’ils ne savaient pas. Mais ce n’est peut-être pas par hasard si cette réconciliation est survenue juste avant la visite du secrétaire d’état américain Rex Tillerson. En effet, les Américains étaient quasi les derniers à pousser encore au dialogue. Les églises et des entrepreneurs faisaient également pression en coulisse. Ce qui pourrait avoir permis un déblocage.

Selon Murithi Mutiga, le président Kenyatta entame son dernier mandat et devait se réconcilier avec son adversaire. « C’était une question d’héritage politique. Et la stabilité économique qu’il voulait n’était pas possible sans cohésion sociale », explique le chercheur de l’International Crisis Group.

Quant à Raïla Odinga, il se réinstalle comme leader incontesté de l’opposition, alors que sa coalition était en train de s’écrouler. Il faudra maintenant voir quelle responsabilité politique il va endosser. « Laisser un homme qui a tellement de partisans sans aucun poste, cela déstabilise le pays. Il pourrait obtenir un statut officiel », analyse Murithi Mutiga.

« Construire les ponts d’une nouvelles nation »

Une bonne source estime que les mots prononcés par les deux leaders sont très forts. Mais qu’il faudra voir si cela sera suivi d’effet. En tout cas cette déclaration commune pourrait signer la fin de la crise. A part quelques jusqu’au-boutistes, les partisans de chaque camp semblent accepter cette réconciliation-surprise.

Pour sortir de la crise, Raïla Odinga et Uhuru Kenyatta ont signé un document de 8 pages, dans lequel le Kenya se regarde en face. Intitulé « construire les ponts d’une nouvelle nation », il s’agit d’un condensé des problèmes qui minent le pays. L’accord est écrit avec une franchise étonnante, alors que les deux camps paraissaient irréconciliables. Kenyatta et Odinga y reconnaissent l’échec des réformes des 20 dernières années.

Le document remonte à la construction du Kenya indépendant. Même les pèresfondateurs ne sont pas épargnés. « Il leur a manqué une approche collective ce qui a entraîné exclusion et animosité » est-il écrit. Plus surprenant encore, Kenyatta et Odinga assument leur part de responsabilité et se décrivent eux-mêmes comme « deux leaders symbolisant la répétition des divisions ».

Les deux hommes s’engagent à trouver des solutions

Le président et son opposant décrivent sans tabous l’antagonisme ethnique et demandent la fin du profilage tribal. « Nous avons ont eu des mots durs l’un envers l’autre, mais nous sommes restés amis », écrivent par exemple les deux hommes. Ils y dénoncent aussi le manque d’inclusion, les ratés de la décentralisation, et le cycle sans fin des violences électorales. Chaque fois, ils s’engagent à trouver des solutions.

Selon une source diplomatique, l’Eglise, qui pousse pour un dialogue, pourrait avoir rédigé cet accord. « Je n’ai jamais vu un texte aussi clair et aussi constructif. Mais il faudra voir s’il sera suivi d’effets », confie cet expert.

Justement, au final Kenyatta et Odinga annoncent la création prochaine d’un bureau, avec à sa tête deux hommes de confiance, pour mettre en place ce programme.

Incertitude sur l’avenir de l’opposition

Si le pays entrevoie une sortie de crise, le futur de l’opposition est incertain. « C’est un pas dans la bonne direction », titre le quotidien Daily Nation qui, cependant, temporise. « En politique, il n’y a pas d’ennemis éternels, seulement des intérêts communs, il est trop tôt pour évaluer la portée de cette réconciliation », ajoute le journal.

La classe politique, elle, salue ce rapprochement surprenant. William Ruto, vice-président, pourtant exclut de la réunion, félicite, sur Twitter, Uhuru Kenyatta et Raila Odinga pour s’être levés contre la haine et les divisions. De son côté, Raphael Tuju, secrétaire général du Jubilee, le parti au pouvoir, indique dans un communiqué que la direction du parti fera tout son possible pour « entamer des discussions constructives avec l’opposition, dans le respect mutuel et pour le bien » de la Nation. Nous sommes très loin de la rhétorique violente qui prévalait, jusqu’ici, entre les deux camps.

Du côté de la coalition de l’opposition, NASA, on est moins enthousiaste. Les autres leaders assurent avoir été tenus complètement à l’écart des discussions. « Nous avions pourtant toujours poussé au dialogue », disent-ils.

L’avocat Miguna Miguna, proche de la NASA accuse, quant à lui, Raila Odinga de trahison. Depuis la prestation de serment parallèle de l’opposant, la coalition est minée par les divisions et ce dernier revirement de Raila Odinga pose, encore une fois, la question du futur de l’opposition.

« Un compromis entre deux individus »

De son côté, l’ancien vice-président, Musalia Mudavadi, un des dirigeants de la coalition NASA et dirigeant du parti ANC, a déclaré que l’accord n’engageait que Raïla Odinga.

« Nous n’avons été ni mis au courant, ni consultés, ni invités. Cette rencontre est-elle un aboutissement du dialogue que la NASA demandait ? La réponse est non. Des problèmes défendus par le parti ont peut-être été évoqués en apparence, comme ceux liés à la justice électorale et la gouvernance, mais c’est tout. La NASA soutient un dialogue national totalement inclusif et non un accord entre deux personnes. Je peux donc affirmer, catégoriquement, que ce compromis a été entre deux individus et n’a pas été entériné par la direction de la NASA, comme cela devrait être. Il n’a pas suivi la procédure des structures du parti. On ne peut pas passer sous silence des problèmes comme la justice électorale, en acceptant simplement de tourner la page sur la base d’un accord entre deux personnes. Néanmoins, la NASA n’est pas opposée au dialogue. Notre famille politique reste engagée pour faire progresser le Kenya », a-t-il déclaré.

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