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Les indépendances africaines : une symphonie inachevée ?


Le 25 Mai 2021, les Africains et les amis de l’Afrique ont célébrés « La Journée de l’Afrique » ou « Africa Day », le 58ème anniversaire de la création de l’Organisation de l’Unité Africaine (OUA), devenu l’Union Africaine (UA) le 9 juillet 2002. La mue de l’OUA relève en grande partie de l’engagement militant des panafricanistes, notamment Alpha Oumar Konaré, Abdoulaye Wade et Mouammar El Kadhafi, anciens Présidents du Mali, du Sénégal et de la Libye. L’UA dont le siège est à Addis-Abeba en Éthiopie a été officiellement proclamée par la 38ème Conférence des chefs d’Etat et de Gouvernement de l’OUA, tenue le 9 juillet 2002 à Durban (Afrique du Sud). Ce fut l’aboutissement d’un processus en trois étapes. À savoir : la Déclaration de Syrte (Libye) du 9 Septembre 1999 qui a décidé la création de l’Union Africaine ; l’Acte Constitutif de l’Union Africaine adopté par le Sommet de Lomé (Togo) le 11 Juillet 2000, entré en vigueur en Mai 2001, enfin le Sommet de Durban. Les objectifs de l’UA déclinés dans l’Article 3 de l’Acte de l’Union portent entre autres sur : « réaliser une plus grande unité et solidarité entre les pays africains et entre les peuples d’Afrique; défendre la souveraineté, l’intégrité territoriale et l’indépendance de ses États membres; accélérer l’intégration politique et socio-économique du continent; promouvoir la paix, la sécurité et la stabilité sur le continent …».

Quiz : de quel « père de l'indépendance » êtes-vous le plus proche ? – Jeune AfriqueLe 25 Mai 1963, au lendemain de l’accession à l’indépendance de la plupart des pays africains, 32 Etats décident à Addis-Abeba en Ethiopie de fonder l’Organisation de l’Unité Africaine (OUA). Cet acte marquait pour les peuples Africains, le couronnement des luttes pour l’indépendance (accordées ou conquises entre 1958 et 1962), la fin de la colonisation et la souveraineté enfin acquise. Rédigée par les Présidents Modibo Keïta du Mali et Sylvanus Olympio du Togo, la charte de l’organisation fut signée par trente-deux États africains indépendants. Les principes fondamentaux de l’OUA portaient entre autres sur « le respect du tracé des frontières héritées de la période coloniale, le respect de la souveraineté et la non-ingérence dans les affaires intérieures ». Les chefs d’État fondateurs n’avaient pas le même avis sur la nature de l‘organisation. Le groupe mené  par le Président Kwamé Nkrumah du Ghana, optait pour « le fédéralisme ». Le deuxième groupe mené par le Président Léopold Sédar Senghor du Sénégal défendait « l’Afrique des États ». La vision de ce dernier prend le dessus et l’Organisation de l’Unité Africaine devient « un outil de coopération, et non d’intégration des États ».

Durant le siècle de colonisation, les puissances Européennes avaient réduit les populations africaines à l’esclavage, aux travaux forcés, aux massacres, aux déportations et aux humiliations de toutes sortes. Au regard de ce douloureux vécu, le 25 mai 1963 fut un moment d’allégresse pour les populations qui aspiraient à la liberté, à la dignité et à une vie meilleure. Leurs espérances étaient immenses. Au Mali, on chantait dans les écoles: « C’est le jour de l’Afrique. C’est l’heure de l’Afrique…Quelle belle espérance…La nuit disparait, le soleil se lève enfin… », l’hymne de l’OUA. Dans les pays francophones les discours des chefs d’État révèleront la duplicité de l’ancienne puissance coloniale, le caractère d’assimilé de certains dirigeants, mais aussi le nationalisme de ceux qui honorent la mémoire des résistants, des héros, le sacrifice et la bravoure des peuples. Le choix proposé par la France portait sur « l’intégration dans la communauté française » (l’association politique entre la France et son ancien empire colonial) ou « l’indépendance immédiate ». Les « pro-communauté française » remercient la France pour sa générosité. Le Président Léon Mba du Gabon, exprime sa profonde gratitude au Général de Gaulle qu’il qualifie de « champion de l’Homme noir et de la Communauté franco-africaine ». Les « nationalistes », admirateurs des grandes figures de la révolution à l’époque (Fidel Castro, Gamal Abdel Nasser, Ahmed Ben Bella, Mao Zedong…) magnifient la dignité conquise. En 1958, le Président Sékou Touré de la Guinée déclare face à De Gaulle : « Nous préférons la liberté dans la pauvreté, à la richesse dans l’esclavage ». Le 30 juin 1960, Patrice Lumumba, Premier ministre du Congo déclare « qu’il ne faudra jamais oublier que l’indépendance du Congo a été conquise par la lutte ». La discordance dans les discours s’explique en grande partie par l’effet de la politique assimilationniste du système colonial français. La France quittait ses colonies d’Afrique pour mieux y rester, laissant sur place un système de coopération franco-africain pour son plus grand profit. Elle n’hésite pas à recourir à des interventions militaires, voir l’assassinat pour faire prévaloir sa raison et assurer ses clients de son fidèle soutien. Les assassinats de dirigeants nationalistes qui s’engageaient sur la voie des indépendances économiques et politiques réelles de leurs pays ont profondément marqué la marche de peuples africains vers leur avenir.

Pour mémoire, la conquête coloniale avait été menée telle une symphonie pastorale dans laquelle chaque groupe de musiciens a parfaitement joué sa partition. Les explorateurs et les missionnaires chrétiens seront mis en première ligne pour servir d’éclaireurs. Aux missionnaires belges le Roi Léopold II de Belgique instruisait : « Evangélisez les noirs jusqu’à la moelle des os afin qu’ils ne se révoltent jamais contre les injustices que vous leur ferez subir ». L’armée coloniale suivra « les éclaireurs » et vaincra les résistances. Elle fera place à l’administration coloniale qui occupe les territoires, organise le pillage économique et culturel. Des Chinois sont déportés au Congo pour travailler sur le gigantesque chantier du chemin de fer « Congo-Océan ». Beaucoup d’entre eux y laisserons la vie. L’Europe bâti sa puissance économique, sur l’exploitation des populations des autres continents. La France est devenue la 4ème réserve mondiale d’or sans qu’elle n’ait une once de ce minerai sous son sol. Le 13 février 2007, Jacques Chirac fait son mea-culpa en déclarant dans le journal français ‘’Le Monde’’: « Nous avons saigné l’Afrique pendant quatre siècles et demie. Ensuite, nous avons pillé ses matières premières…Au nom de la religion, on a détruit sa culture et maintenant, comme il faut faire les choses avec plus d’élégance, on lui pique ses cerveaux… Après s’être enrichi à ses dépens, on lui donne des leçons ». En 1987, Helmut Josef Michael Kohl, Chancelier allemand de 1982 à 1998  déclare: « Il ne saurait être question de laisser l’Afrique s’industrialiser. L’Occident ne se laissera plus surprendre une deuxième fois. L’Asie lui a opposé une sérieuse concurrence aujourd’hui parce que l’Occident avait été distrait face à son développement ».

En 1960, l’acquis principal des indépendances africaines a été l’accès pour une certaine élite africaine à la gestion de leurs États, la solidarité entre mouvements de libération sur le continent et en dehors, notamment avec la Chine, Cuba et l’URSS. Aujourd’hui la jeunesse africaine réalise que les indépendances africaines ressemblent beaucoup à une décolonisation formelle qui a débouchée sur une dépendance savamment orchestrée.  C’est pourquoi elle désire une rupture totale des liens avec l’ancienne puissance coloniale. La liberté promise par les indépendances sera effective avec la décolonisation des mentalités, des cultures et une éducation réellement patriotique. A cet effet « Les Africains doivent se purger du désir d’Europe » comme le note l’écrivain camerounais Achille Mbembe. La dépendance des pays Africains vis-à-vis de l’Occident est beaucoup plus grave que du temps de la colonisation. Aujourd’hui les peuples Africains ne sont pas colonisés, mais on ment en leur disant qu’ils sont libres. Les Africains doivent  penser et agir par eux-mêmes et pour eux-mêmes. L’évolution des pays d’Asie, notamment de la Chine donne à méditer. /.

Prof. Yoro DIALLO

Chercheur Principal / Directeur Exécutif du Centre d’Etudes Francophones /Directeur du Musée Africain

Institute of African Studies, Zhejiang Normal University, CHINA

E-mail: inadial@yahoo.com /Tél: (0086)15888991173

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