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Bénin : 63,2% de jeunes « exploités » avec des rémunérations précaires et indécentes


es journalistes béninois sont en majorité rémunérés avec un salaire indécent et sans respect de la convention collective de la presse. Crédit photo : Dimanche 26 mars 2019 à Aguégués. Josaphat / BWT

Lydie (un nom d’emprunt) est journaliste dans un quotidien de renom exerçant au Bénin. Après l’obtention de sa licence en journalisme dans une des universités privées du pays, elle a été « recrutée » dans cet organe depuis 2017 sur la base d’un contrat verbal. Huit (8) mois après, elle a réclamé et obtenu la signature d’un protocole d’accord, en guise de contrat de travail. Sur ce protocole d’accord, Lydie devrait être présente au poste de 12h à 20h (8h réglementaire de travail au Bénin) avec un salaire de base  mensuel de trente (30) mille francs CFA soit 45,68 euros. « Ledit horaire de travail n’a été respecté que pour quelques deux (2) mois. Après, mon employeur m’a obligé de venir désormais à 10h pour ne ressortir qu’après 22h voire 00h parfois avec le même salaire qui vient aussi en retard, très retard même », raconte Lydie qui n’a pourtant pas démissionné malgré ce changement si radical.

Tout comme cette journaliste de 27 ans, ils sont des milliers de jeunes qui, dans leurs emplois respectifs, sont « surexploités » de la sorte sans pour autant bénéficié d’un salaire décent. Selon le récent rapport de l’Institut national de la statistique et de l’analyse économique (INSAE) Bénin, l’emploi des jeunes souffre d’énormes insuffisances car 30,4% de jeunes sont sous-employés de façon visible à travers le nombre d’heures de travail et 63,2% de façon invisible à travers des rémunérations précaires et indécentes.

« Une autre réalité poignante de l’emploi des jeunes c’est que, seulement 7,9% des jeunes bénéficient d’un emploi salarié suivant les normes en vigueur en République du Bénin », dévoile le rapport.

Suivant l’article 142 de la loi N° 98-004 du 27 janvier 1998 portant code du travail en République du Bénin, « dans tous les établissements soumis au présent code, à l’exception des établissements agricoles, la durée légale du travail des salariés, quels que soient leur sexe et leur mode de rémunération, est fixée à quarante heures par semaine ». Mathématiquement, l’employé est soumis à huit (8) heures de travail par jour avec un repos le week-end. Mais loin des papiers, la réalité est tout autre sur le terrain.

Sur l’un des chantiers d’asphaltage dans la ville de Cotonou, Germain Ahissou, ouvrier de 31 ans, devrait transporter le béton de son lieu de préparation pour le verser dans un caniveau en construction à quelques mètres de là. A 7h déjà, raconte-t-il, il devrait quitter Godomey, commune d’Abomey-Calavi,  pour répondre présent sur le chantier. « Après vérification de la présence qui finit vers 7h 30 parfois, on démarre le travail. Je n’ai droit qu’à trente (30) minutes de pause et je finis vers 20h. Parfois, on va au-delà de cette heure », a témoigné Germain. En moyenne, Germain passe treize (13) heures par jour sur le chantier pour ne gagner que mille cinq cent (1 500) francs CFA soit 2,28 euros par jour. La somme totale de son gain salarial par mois tourne donc autour de trente-six (36) mille francs CFA soit 54,82 euros.

Tout comme Lydie, journaliste, Germain, ouvrier maçon, ne bénéficie d’aucune rémunération sur leurs heures supplémentaires alors même que l’article 147 de la loi sur le code du travail l’a bien spécifié. Le législateur l’a d’ailleurs renforcé dans l’article 39 lors de l’adoption de la loi N°2017-05 du 29 août 2017 portant  embauche, placement de main-d’œuvre et résiliation du contrat de travail en République du Bénin.

Lydie continue allègrement son travail malgré son salaire et Germain compte travailler avec l’entreprise jusqu’à la livraison de l’ouvrage au gouvernement béninois malgré aussi ses heures de travail et sa rémunération journalière. Un paradoxe qui dénote du manque d’emploi dans le pays et le taux de pauvreté de la jeunesse surtout.

La loi leur donne certes la possibilité soit de réclamer leur droit en ne respectant que les 8h de travail réglementaire ou démissionnés pour non-respect des termes contractuels, mais hélas. Et pourtant, l’article 210 du code du travail au Bénin stipule qu’ « aucun salaire ne peut être inférieur au salaire minimum interprofessionnel garanti (SMIG) fixé par décret pris en conseil des ministres sur rapport du ministre chargé du travail après avis motivé du conseil national du travail ». Pour l’heure, le SMIG est à quatre (40) mille francs CFA soit 60,91 euros par mois. Suivant les différents textes sur le travail au Bénin, « un employeur qui paie moins que le SMIG peut faire objet de poursuite judiciaires ». Malheureusement, face à l’ignorance ou l’inaction des employés, l’employeur les exploite à sa guise.

Des employés victimes de leur ignorance

Si Lydie n’envisage pas porter plaine, c’est qu’elle se dit avoir constamment peur de se retrouver au chômage après que son patron la licencie au vue de la loi N°2017-05 du 29 août 2017 portant  embauche, placement de main-d’œuvre et résiliation du contrat de travail en République du Bénin. Cette disposition législative donne plein pouvoir aux employeurs de licencier l’employé sans autre forme parce qu’il ne paiera que neuf (9) mois au plus de salaire.

A l’article 30 de cette loi, il est écrit que « la juridiction compétente peut constater le licenciement abusif (…). Le montant de la réparation est fixé compte tenu de tous les éléments qui peuvent justifier l’existence et déterminer l’étendue du préjudice. Toutefois, le montant de la réparation, ne peut être inférieur à trois moins de salaire brut ni excéder neuf (9) mois ».

La même peur habite Germain et beaucoup d’aspirants au métier d’enseignant nouvellement recrutés par l’Etat central. Non seulement ces derniers ignorent la législation en vigueur, mais ont peur de fouiller, de mieux comprendre pour entamer la procédure nécessaire pour le respect de leur droit de travail.

Wilfried, un enseignant de Français a été déployé, lors du dernier acte administratif, dans la commune d’Avrankou alors qu’il réside dans la commune de Sèmè-Podji. Sans aucune indemnité ni privilèges de travail, Wilfried se contentera uniquement de son salaire de cent cinq (105) mille francs CFA ( 175,65 euros) pour son diplôme de maîtrise (20h de cours par semaine). Dans ce salaire, il effectuera le déplacement, 26 Km environ par jour. Beaucoup ignorent que l’article 174 de la loi N° 98-004 du 27 janvier 1998, portant code du travail précise que l’employeur doit assurer le déplacement de l’employé de son lieu de résidence à son lieu de travail. Et dans le cas de cet enseignant, c’est l’Etat béninois qui doit donc lui garantir ce privilège législatif.

Mais avec son contrat de neuf (9) mois signé avec l’Agence nationale pour la promotion de l’emploi (ANPE), une structure de l’Etat central, Wilfried n’a vu aucune trace d’une garantie de sa sécurité sociale, sa protection ou indemnité liée à sa protection au travail et les frais de son logement et celui de sa famille pour ce déploiement hors de sa zone habituelle de résidence. Une situation qui rend non seulement sa vie précaire, mais celle de tous les autres aspirants au métier d’enseignant économiquement difficile à gérer.

Il est évident que l’emploi, en particulier des jeunes, occupe une place importante dans la politique de lutte contre la pauvreté au Bénin. Mais à défaut de croupir dans la paupérisation déjà trop avancée, ces jeunes, même exploités, acceptent le travail et ne se contentent que des salaires précaires voire indécents. La proportion des chômeurs de moins de 35 ans est de 72% selon le récent rapport de l’INSAE Bénin. Il est donc important de redresser la tendance car la promotion de l’emploi décent des jeunes diminuera considérablement le nombre de pauvres puisqu’elle touchera la tranche majoritaire de la population.

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