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L'actualité, en toute intégrité

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Adoption du projet de loi portant révision de la Constitution: les observations des syndicats des magistrats


Dans ce communiqué,  les magistrats s’interrogent sur la brutalité de  l’annonce du projet de loi portant révision de la Constitution et sur  la pertinence et l’opportunité des mesures novatrices prises, telle que, la connexion entre le Parquet et le ministère en charge de la justice dans le cadre de la vision de la politique pénale du Chef de l’Etat. Ci-dessus, le communiqué. 

 

Observations critiques du Syndicat des Magistrats Burkinabè relativement à l’avant-projet de révision de la Constitution du Burkina Faso
(En complément des observations faites dans le cadre de l’intersyndicale des magistrats)

Avant-propos

Monsieur le Président de la Commission des Affaires Générales, Institutionnelles et des Droits Humains (CAGIDH),

Honorables députés de l’Assemblée législative de Transition (ALT) ;

C’est avec une grande satisfaction que le Syndicat des Magistrats Burkinabè (SMB) a reçu votre invitation le 19 décembre 2023, tout comme les autres syndicats de magistrats, à l’effet de se présenter le 23 décembre de la même année, pour présenter ses observations et propositions d’amendements relatives au projet de loi portant révision de la Constitution, avec la précision qu’il nous « plaira de prendre des dispositions pour transmettre à la Commission, avant, pendant ou après la séance de travail, toute documentation et/ou contributions écrites portant sur le sujet ».

Monsieur le Président de la CAGIDH, chers honorables,

C’est avec stupéfaction que dans l’après-midi du mercredi 06 décembre 2023 que les magistrats découvraient dans le compte-rendu du Conseil des Ministres que ledit Conseil a adopté, au titre de la Présidence du Faso, un projet de loi portant révision de la Constitution. Au nombre des innovations de ce projet de loi, ce Compte-rendu précisait, entre autres :

« (…) Le réaménagement du régime de la responsabilité pénale des dirigeants politiques qui entraine nécessairement la suppression de la Haute Cour de Justice dont les compétences seront données à la Chambre criminelle de la Cour d’appel de Ouagadougou, assistée par des jurés parlementaires ;

L’arrivée des personnes non magistrats dans la composition du Conseil Supérieur de la Magistrature (CSM) ;

La connexion entre le Parquet et le ministère en charge de la justice dans le cadre de la vision de la politique pénale du Chef de l’Etat (…) »

Pendant que les magistrats s’interrogeaient sur la brutalité de cette annonce (le 1er décembre 2023 plus tôt, le Premier Ministre annonçait devant l’ALT l’adoption d’une nouvelle Constitution dans son discours sur l’état de la Nation !), sur la pertinence et l’opportunité de telles mesures novatrices, ils découvraient sur les réseaux sociaux, le 14 décembre 2023, un document intitulé « Avant-projet de loi constitutionnelle-final-SG » qui propose effectivement des dispositions tant modificatives portant sur les articles 35, 124, 130, 132, 133, 134, 137, 141, 152, 154 et 160 qu’abrogatives concernant les articles 76, 138, 140, les Titre X et XIV bis.

Pendant qu’ils y croiraient toujours à un mirage, les Syndicats des magistrats recevaient le 19 décembre 2023 votre invitation, annexée du document de la séance du travail, lequel document n’étant rien d’autre que l’avant-projet de loi portant révision de la Constitution qui circulait quelques jours plus tôt sur les réseaux sociaux. C’est à cet instant qu’ils se sont laissés convaincre qu’un projet de révision constitutionnelle n’était plus au stade du questionnement sur « le juridiquement possible ou impossible » mais à l’étape « du politiquement déjà fait ou faisable » !

S’agissant des réformes touchant particulièrement à la justice, si peu d’arguments ont filé officiellement du côté de l’exécutif qui est à l’initiative du projet de révision, plusieurs développements sont argués çà et là officieusement en ces termes :
« les magistrats empêchent la Transition d’avancer… » ;

« les magistrats sont imbus de leur pouvoir » ;

« le peuple est déçu de la justice » ;

« le Pacte national pour le renouveau de la Justice de 2015 a donné trop de liberté aux magistrats » ;

« les magistrats ont de gros salaires mais ne travaillent pas pour les mériter »
« les magistrats sont trop en liberté » ;

« les magistrats ont pris en otage la République » ;

« les Syndicats des magistrats ont pris en otage le CSM » ; etc.

A l’occasion de la rencontre statutaire entre le CSM et le Chef de l’Etat, tenue le 21 décembre 2023, ce dernier a été interpellé sur les enjeux de telles réformes annoncées, précisément, sur le fait qu’elles constitueront une atteinte à l’indépendance de la justice. En réaction, celui-ci a répliqué qu’elles ne porteront pas atteinte « fondamentalement à l’indépendance de la justice ».

Cette réponse du Chef de l’Etat, Garant constitutionnel de l’indépendance du pouvoir judiciaire, ne pouvait en être autrement quand on sait qu’à la veille (20 décembre 2023), son Ministre de la Justice, Garde des Sceaux, déclarait sur les ondes de la télévision nationale en substance que les dispositions constitutionnelles sur l’indépendance du pouvoir judiciaire (article 129 par exemple) ne sont pas concernées par les réformes ; que les magistrats du siège ne seront pas connectés à l’exécutif ; que c’est plutôt les magistrats du parquet qui seront connectés au Ministre de la justice dans la perspective de la mise en œuvre de la politique pénale et ce, pour « plus d’harmonie et plus d’efficacité » ; que du reste, « autour de nous, même dans les pays qui se disent démocratiquement avancés, les pays que nous prenons pour exemple (…) vous ne verrez nulle part où le parquet n’a pas de lien avec l’exécutif, vous n’en trouverez pas (…) » ; que d’ailleurs, « l’indépendance du pouvoir judiciaire, ce n’est pas un privilège pour le juge d’une part, et d’autre part, l’indépendance du juge se passe dans la tête, ce n’est pas dans les textes (…) ». S’agissant de l’intégration des non magistrats dans la composition du CSM, le Garde des Sceaux excipe que cette ‘’innovation’’ répond à une vielle revendication inscrite dans le Pacte pour le renouveau de la justice adopté le 28 mars 2015 (article 4 du Pacte cité en exemple) à l’issu des états généraux sur la justice et ce, pour éviter du « corporatisme ».

Ces motifs avancés sont largement repris dans les termes de référence (TdR) annexés à votre invitation.

Ainsi, l’analyse combinée du compte-rendu du Conseil des Ministres du 06 décembre 2023, en ses aspects concernant les raisons des réformes de la justice, de la réponse du Chef de l’Etat sur la question lors de la rencontre statutaire du 21 décembre 2023 et le contenu de l’interview télévisée du Ministre en charge de la justice du 20 décembre de la même année permet de se convaincre que les réformes constitutionnelles envisagées, relativement au secteur de la justice sont sous-tendues par quatre (04) motifs essentiels :

1) La vision de la politique pénale du Chef de l’Etat ;

2) « L’harmonie et l’efficacité » entre le parquet et le Ministre en charge de la justice dans la mise en œuvre de la politique pénale ;

3) La fin du corporatisme au sein du Conseil Supérieur de la Magistrature (CSM) ;

4) L’indépendance du pouvoir judiciaire n’est nullement entachée par les réformes envisagées.
A la lumière des motifs « officiellement avancés » comme justificatifs des réformes de la justice, le Syndicat des Magistrats Burkinabè (SMB) en formulera ses observations critiques, assorties des propositions, tant en la forme (I) qu’au fond (II). Ces observations viennent en complément de ce qu’il a déjà fait dans le cadre de l’intersyndicale des magistrats.

I- I- En la forme

A- In limine litis (exception préliminaire) : interdiction dirimante de réviser la Constitution dans le contexte actuel

Rhétorique familière au prétoire des Cours et tribunaux, l’exception préliminaire signifie en principe qu’il y a un grief qui empêche le déclenchement du procès ou même sa tenue alors qu’il est en état d’être commencé après son ouverture solennelle. Pertinent ou pas, ce grief doit être soulevé par la partie qui y a intérêt avant le début du procès. Transposée au « prétoire » de l’ALT, l’exception préliminaire renvoie au fait que le principe même de la révision de la Constitution pose problème. Concrètement, dans le contexte d’insécurité terroriste, avec ses implications sur les mesures prises et à prendre, il n’est pas juridiquement possible de procéder à la révision de la Constitution. En effet, l’article 165 alinéa 2 de la Constitution précise sans équivoque qu’ « aucune procédure de révision ne peut être engagée, ni poursuivie en cas de vacance du pouvoir, pendant la durée de l’Etat de siège ou de l’Etat d’urgence et lorsqu’il est porté atteinte à l’intégrité du territoire ». Il s’agit là d’une disposition impérative prohibitive qui interdit la révision de la Constitution ou la poursuite de sa révision dans quatre (04) hypothèses, en l’occurrence, en cas de « vacance de pouvoir », « pendant la durée de l’état de siège » ou pendant « l’état d’urgence » et « lorsqu’il est porté atteinte à l’intégrité du territoire ». Il s’impose d’examiner de manière casuistique ces différentes hypothèses et d’en tirer la conclusion qui s’impose :

– Hypothèse 1 : « vacance de pouvoir » : y a-t-il vacance de pouvoir ?

NON, la réponse négative s’impose à l’évidence, à partir du moment où il existe un Chef d’Etat, un Chef de gouvernement et des membres du gouvernement ; le Chef de l’Etat ayant prêté serment devant le Conseil constitutionnel le 21 octobre 2022 !

– Hypothèse 2 : « état de siège » : y a-t-il état de siège ?

Sans l’avoir décrété officiellement, certaines mesures prises dans le contexte de la lutte antiterroriste relèvent normalement du domaine de l’état siège !
L’état de siège est la situation de fait imposant l’exercice des pouvoirs de police administrative par l’armée, avec pour objectif d’assurer la sécurité publique et ayant pour répercussion la restriction de certaines libertés telles que la liberté de circuler ; il se matérialise concrètement par le transfert des pouvoirs de police de l’autorité civile à l’autorité militaire. Il est plus usité classiquement en temps de guerre (guerre menée par un ennemi extérieur, guerre civile, etc.).

– Hypothèse 3 : « état d’urgence » : y a-t-il état d’urgence ?

OUI, il y a état d’urgence, sans équivoque !

L’état d’urgence est la situation de fait imposant au gouvernement la prise de mesures exceptionnelles ayant pour effet d’endiguer un péril imminent affectant ou susceptible d’affecter les domaines sécuritaire, sanitaire, climatique, économique ou environnemental et pour répercussion la restriction de certaines libertés telles que la liberté de circuler ou la liberté d’expression ; contrairement à l’état de siège qui induit le transfert du pouvoir de police des autorités civiles aux autorités militaires, l’état d’urgence permet plutôt de renforcer les pouvoirs de police des autorités civiles ; par exemple, le pouvoir réglementaire peut faire incursion dans le domaine législatif pour la circonstance.

Le décret n°2023-0475/PRES-TRANS/PM/MDAC/MATDS/MJDHRI portant mobilisation générale et mise en garde en date du 19 avril 2023 est une illustration parfaite des mesures d’état d’urgence !

– Hypothèse 4 : « atteinte à l’intégrité du territoire » : y a-t-il atteinte à l’intégrité du territoire ?

OUI, à l’évidence, une partie du territoire national se trouve entre les mains des groupes armés terroristes (GAT) ; cette occupation partielle du territoire par des forces ennemies se symbolise par l’existence des personnes déplacées internes, spécifiquement des fonctionnaires déplacés internes et des services de l’Etat délocalisés.

L’intégrité du territoire est l’effectivité de l’emprise totale de l’Etat sur son territoire, son occupation par ses populations, sa défense dans ses frontières par son armée, la mise en œuvre des politiques et programmes du gouvernement par la réalisation des activités socio-économiques et des infrastructures partout où besoin est. A contrario, l’atteinte à l’intégrité territoriale signifie le contrôle total ou partiel du territoire national par une force étrangère, différente donc des forces armées nationales, des populations ou du gouvernement en place.

Lors de son discours sur la situation de la Nation le 1er décembre 2023, le Premier Ministre KYELEM Joachimson de Tembela a déclaré devant l’ALT que 65% du territoire national est reconquis, ce qui signifie que les 35% sont occupés par les GAT.

De ce qui précède, il en découle que le projet de révision de la Constitution doit être déclaré irrecevable dans son principe. Passant outre, il s’exposera à la censure du Conseil constitutionnel si bien sûr, celui-ci viendrait à user par extraordinaire de son devoir d’ingratitude.

Proposition :

Ce qui est faisable dans la limite du juridiquement possible, c’est l’adoption d’une nouvelle Constitution ou, à l’inverse, pour être logique dans la dynamique des mesures d’état d’urgence qui baignent dans l’état de siège, c’est la suspension de la Constitution !

Cette proposition est d’ailleurs conforme au Plan d’action pour la stabilisation et le développement (PA-SD) de la Transition qui prévoit aux pages 57 et 58 « l’adoption d’une nouvelle Constitution » avec comme structures responsables de la mise en œuvre le MATDS et le MJDHRI. Cette perspective consistant à adopter une nouvelle Constitution « répondant aux aspirations du Peuple » a été réitérée par le Premier Ministre lors de son discours sur la situation nationale le 1er décembre 2023 devant l’ALT

B- Absence de l’avis préalable du CSM sur le projet de révision de la Constitution

Les réformes constitutionnelles envisagées visent à rattacher le parquet au Ministre en charge de la justice, ce qui va sans dire qu’elles grignoteront les marges de manœuvres habituelles des magistrats en charge de l’action publique. En effet, l’expérience d’une telle approche de par le passé a révélé qu’elle accoutume le Ministre de la justice, membre du gouvernement, aux instructions négatives consistant à enjoindre de ne pas poursuivre des présumés auteurs d’infractions ayant des affinités avec le régime en place ou, au contraire, de poursuivre des personnes non présumés auteures d’infraction en ce qu’elles sont embarrassantes pour les détenteurs du pouvoir politique du moment. Ainsi, comme il se donne de constater, une telle mesure d’embrigadement du parquet affecte l’indépendance de la magistrature. Dans cette logique, l’article 133 alinéa 1 de la Constitution énonce que « le Conseil supérieur de la magistrature donne son avis sur toute question concernant l’indépendance de la magistrature et sur l’exercice du droit de grâce ». L’article 12 alinéa 1, tiret 1 du Statut de la magistrature renchérit que « le Conseil supérieur de la magistrature donne son avis sur toute question concernant l’indépendance de la magistrature ». En l’espèce, jusqu’à ce jour, le CSM n’a nullement été consulté. Or, il devrait être avisé avant tout dépôt du projet de loi portant révision de la Constitution.

Proposition :

Passant outre l’exception préliminaire ci-dessus, il serait sage de renvoyer le projet de révision de la Constitution au Gouvernement pour saisine du CSM à l’effet d’y requérir son avis !

Si l’ALT viendrait à ignorer ces motifs tenant en la forme, il s’imposera de considérer les observations de fond qui relèvent de l’évidence.

II- Au fond

A- Observations critiques générales (holistiques)

1- Sur les motifs qui sous-tendent la révision de la Constitution

a- De la vision de la politique pénale du Chef de l’Etat

Le compte-rendu du Conseil des Ministres du 06 décembre 2023 a précisé que le rattachement du ministère public à l’exécutif entre dans le cadre de la « vision de la politique pénale du Chef de l’Etat ». Le but ainsi décliné suscite deux (02) observations interrogatives :

Quelle est la « vision de la politique pénale du Chef de l’Etat » ?

Comment peut-on procéder à une révision constitutionnelle qui aura pour effet d’assujettir le ministère public à l’exécutif sur le fondement d’une politique pénale inconnue ou au contenu incertain ?

L’ALT doit-elle procéder à des réformes constitutionnelles dans l’intérêt de la volonté du peuple ou plutôt dans le sens de la politique pénale du Chef de l’Etat ?

Comme il se donne de constater, l’on ne saurait opérer des réformes sur le fondement d’une politique pénale au contour incertain.

Sans se livrer dans la fabulation, s’il s’agit des peines alternatives à l’emprisonnement évoquées à plusieurs reprises par le Chef de l’Etat lors de certaines sorties médiatiques, celles-ci sont déjà consacrées dans le Code pénal de 2018 (en relecture) et le Code de procédure pénale de 2019. Comme telles, aucun magistrat, fut-il parquetier ne s’est jamais opposé à la prise de telles mesures alternatives légalement consacrées.

Proposition :

Il convient de chercher à décliner au préalable au peuple la vision de la politique pénale avant d’opérer des réformes sur la base d’une telle vision

b- De la recherche de « l’harmonie et l’efficacité » dans la mise en œuvre de la politique pénale du Chef de l’Etat par la connexion du parquet au Ministre en charge de la justice

Le Garde des Sceaux justifie la domption du parquet par la recherche de l’efficacité et de l’harmonie dans la mise en œuvre de la politique pénale du Chef de l’Etat. Il ajoute que, du reste, nulle part au monde, même dans les pays démocratiquement avancés, il n’existe pas un parquet qui n’a pas de lien avec le Ministre de la justice, donc avec l’exécutif.

Cet argumentaire est tout aussi impertinent que fébrile pour justifier la prise en otage des procureurs du Faso et Procureurs généraux par le Gouvernement pour plusieurs raisons :

D’abord, même s’il était le seul pays au monde où le parquet est déconnecté de l’exécutif, le Burkina Faso ne devrait pas souffrir d’un complexe d’infériorité infantile et rétrograde en refusant d’être à l’avant-garde des changements profonds dans son système judiciaire pénal et d’inspirer par-là les « pays démocratiquement avancés » ; autant les contextes, les mentalités sont différentes ; dans les mêmes pays dit « démocratiquement avancés », un Ministre ou un Chef d’Etat ne cherche pas à s’extirper d’une procédure judiciaire ; en cas de suspicion infractionnelle, les membres du gouvernement de ces pays ont le réflexe de démissionner de leur poste de responsabilité pour se mettre à la disposition de la justice, un instinct de civisme qui n’a pas encore intégré les mœurs de nos dirigeants politiques !

Ensuite, aucune étude ou aucune donnée statistique n’a pu établir que de 2016 à nos jours (décembre 2023), il y a manque d’efficacité dans les actions du parquet et absence d’harmonie entre ce dernier et l’exécutif. De 2016 à 2023, le décrochage du judiciaire et du politique a été expérimenté à la grande satisfaction du justiciable, d’où l’augmentation des plaintes et dénonciations, ainsi que le révèlent les statistiques du Ministère de la justice correspondant à cette période ;

Enfin, de 2016 à nos jours, aucun parquet n’a résisté à la mise en œuvre d’une politique pénale déclinée par un gouvernement, encore moins à l’exercice du droit de grâce par le Chef de l’Etat ; sous le régime du Mouvement pour le Peuple et le Progrès (MPP), l’on pourrait ressortir les anciennes circulaires de l’ancien Garde des Sceaux, monsieur René BAGORO, qui invitait les tribunaux à privilégier les peines alternatives à l’emprisonnement ; plus près de nous, sous le MPSR I, à la demande du Président DAMIBA, le Ministre en charge de la justice d’alors, Monsieur Barthélemy KERE, actuel Président du Conseil Constitutionnel, avait notifié une circulaire aux Procureurs généraux et Procureurs du Faso les invitant à privilégier la répression des infractions sur les réseaux sociaux. Aucun parquetier ne s’est opposé à la mise en œuvre d’une telle circulaire !

En tout état de cause, l’alinéa 5 de l’article 4 du Pacte pour le renouveau de la justice souligne que la relecture des textes devant parachever la séparation des pouvoirs « doit prévoir que les magistrats du parquet bénéficient des mêmes conditions de nomination et d’affectation que les magistrats du siège », un alinéa omis volontairement par le Ministre en charge de la justice lors de son interview du 06 décembre 2023, une stratégie de communication politique qui échappe difficilement à la compréhension du citoyen moyennement intelligent !

Proposition :

Dans l’intérêt du justiciable, il est impératif de maintenir la déconnexion du parquet du Ministre de la justice, donc du gouvernement. Instituer le contraire, c’est instituer la manipulation à souhait du parquet par l’exécutif ; c’est consacrer une justice aux ordres du politique ; c’est aussi instituer une mesure anachronique combattue à la faveur de l’insurrection populaire des 30 et 31 octobre 2014 et bannie par le Pacte pour le renouveau de la justice de 2015 !

c- De la recherche de la fin du corporatisme à travers la composition paritaire du CSM

Dans son interview télévisée à la date du 19 décembre 2023, le Ministre de la justice a expliqué que l’intégration des personnes non magistrats dans la composition du CSM est une vielle revendication du peuple burkinabè qui a été consacrée par le Pacte pour le renouveau de la justice du 28 mars 2015 ; que cette configuration vise à mettre fin au corporatisme dans la magistrature. Le raisonnement du Garde des Sceaux suscite deux (02) observations :

D’abord, la configuration actuelle du CSM (composé des magistrats et une personnalité non magistrat désignée par le Chef de l’Etat) n’est pas un cas isolé au Burkina Faso. Cette configuration existe dans tous les corps de métier. Il existe :

  • un ordre des avocats composé exclusivement des avocats ;
  • un ordre des notaires composé exclusivement de notaire ;
  • un ordre des huissiers composé exclusivement des huissiers de justice ;
  • un ordre des experts-comptables composé exclusivement des experts-comptables ;
  • un conseil supérieur de la défense composé exclusivement des militaires, etc.
    Par ailleurs, dans la composition de l’ALT, il n’y figure pas un non député, tout comme personne ne siège au Conseil des Ministres s’il n’est pas membre du gouvernement

Si le corporatisme se résume à la configuration des membres de l’instance suprême qui se charge de la carrière, des affectations, nominations et de la discipline d’un corps de métier, il y a lieu d’observer que ce corporatisme existe dans tous les corps de métier dans notre pays. En saine logique, le schéma projeté pour y mettre fin doit être appliqué aux pouvoirs exécutif et législatif, ainsi qu’à tous les corps de métier. Du reste, dans sa composition actuelle, un non magistrat y siège au titre de la personnalité désignée par le Chef de l’Etat et ce, conformément aux prescriptions du Pacte pour le renouveau de la justice, lequel Pacte ayant recommandé le décrochage des magistrats du parquet de l’exécutif

Ensuite, conformément aux prescriptions du Pacte pour le renouveau de la justice, un consensus a été trouvé lors des réformes constitutionnelles en 2017 ; ce consensus prévoit dans la composition du CSM, 1/3 des membres non magistrats et 2/3 des membres magistrats ;

Enfin, l’article 4 alinéa 1 du Pacte pour le renouveau de la justice insiste sur le fait qu’il « est impératif de rendre effectif la séparation des pouvoirs et de rendre le Conseil Supérieur de la Magistrature (CSM) indépendant et autonome vis-à-vis de l’administration et de l’exécutif » ; or, dans les réformes constitutionnelles envisagées, il est clair que c’est la prise du contrôle du CSM qui est plutôt envisagée par l’exécutif, ce qui tranche avec la volonté populaire exprimée dans le Pacte ;

Proposition :

Dans la logique du Pacte et du consensus trouvé lors des réformes constitutionnelles de 2017, il y a lieu d’ouvrir le CSM à 1/3 des membres non magistrats, les 2/3 étant des magistrats.

d- De l’absence d’effet des réformes sur l’indépendance du pouvoir judiciaire

La soif d’une justice réellement indépendante est constamment exprimée par le Peuple burkinabè et énoncée dans les politiques publiques depuis 1995 à travers (sans être exhaustif) :

L’audit organisationnel du Ministère de la justice en 1995 ;

Le Forum national sur la justice en 1998 ;

Les études sur l’état de la démocratie et la stratégie de réforme judiciaire en 1999 ;

Le rapport du Collège des Sages en 1999, à la faveur de l’assassinat du journaliste Norbert ZONGO ;

Le Pacte pour le renouveau de la justice en 2015, à la suite de l’insurrection populaire des 30 et 31 octobre 2014 ;

Le rapport de synthèse des journées d’échanges avec les forces vives des régions sur les réformes politiques, institutionnelles et administratives de la Transition, rapport daté du 22 septembre 2023

L’analyse combinée de ces documents révèle le souhait sans équivoque du peuple burkinabè à avoir une justice affranchie des influences du pouvoir politique, détenu par le gouvernement, et du pouvoir économique, détenu par les hommes d’affaires ou de toute autre influence.

Pourtant, dans les réformes judiciaires projetées, la volonté d’étouffer l’indépendance de la justice est clairement visible à deux (02) niveaux :

Le premier a trait au rattachement du parquet du Ministre de la justice, un dispositif combattu lors des états généraux et banni par le Pacte qui en est issu ; le diagnostic ayant démontré que l’accrochage du parquet à l’exécutif revient à créer une justice-marionnette au service du pouvoir en place, au détriment du justiciable ;

Le deuxième a trait à la configuration du CSM qui prévoit que la moitié des membres soient des non magistrats, sans autre précision ni sur leurs profils, ni sur le mode de leur désignation. Une telle configuration vise simplement à prendre le contrôle du CSM par le pouvoir politique, le CSM étant l’organe chargé des nominations et affectations des magistrats, de leur carrière et de leur discipline. Il est évident que l’objectif recherché par le régime en place est de créer une « caisse de résonnance » à son profit. Le futur CSM sera plus un organe politique que judiciaire !

A l’évidence, cette approche est en porte-à-faux avec le souhait du renforcement de l’indépendance de la justice exprimé par le peuple et réaffirmé par 69,23% des forces vives des régions (confère pages 7, 21 et 22 du rapport de synthèse du 22 septembre 2023 des journées d’échanges avec les forces vives des régions sur les réformes politiques, institutionnelles et administratives de la Transition, échanges commandités par l’ALT).

Proposition :

Il s’impose de renoncer aux réformes judiciaires envisagées, réformes attentatoires à l’indépendance de la justice et contradictoires à la volonté populaire constamment depuis 1995 !

2- Sur les impacts négatifs de la révision projetée sur la qualité de la justice

Le tableau synthétique ci-dessous reflète les impacts négatifs prévisible des réformes sur la qualité de la justice :

Réformes projetées Enjeux politiques observations propositions
Principe de la révision de la Constitution Instrumentalisation de l’appareil judiciaire Violation de l’article 165 alinéa 2 de la Constitution ;

Révision impossible dans le contexte actuel (état de siège, atteinte à l’intégrité territoriale

Maintien de la Constitution en l’état (sans révision) ;

-ou Adoption d’une nouvelle Constitution ;

Révision sans avis préalable du CSM Contournement de l’avis pour s’assurer de l’atteinte du but final de la révision Violation de l’article 133 de la Constitution et article 12 du statut CSM Retour du projet de révision au gouvernement pour avis du CSM
Suppression de l’avis du CSM sur la grâce présidentielle Libération possible des détenus ayant des affinités politiques avec l’exécutif Contrariété avec la volonté populaire en faveur de l’égalité de tous devant la loi Maintien de l’avis du CSM
Nouvelle composition du CSM Création d’un organe politique (une ALT bis) pour le contrôle du CSM Entorse à l’indépendance du juge (son sort sera entre les mains du politique 1/3 des membres non magistrats et 2/3 des membres magistrats
Rattachement du parquet au Ministre de la justice Accaparement politique de l’action publique, justice aux ordres du gouvernement Contrariété avec la volonté populaire depuis 1995 Maintien de la déconnexion du parquet de l’exécutif ;

Optimisation des circulaires ;

Nomination et affectation des procureurs du Faso et procureurs généraux sur proposition le Ministre de la justice Manipulation politique des pouvoirs de poursuite par le gouvernement (exécutif) ; Création d’une justice à deux (02) vitesses, une pour des super-citoyens, l’autre pour des citoyens de seconde zone Maintien en l’état (nomination et affectation des parquetiers par le CSM)
Création d’une justice traditionnelle Ouverture d’une autre possibilité de contournement de la justice actuelle, un plan B de l’exécutif car contenu non précisé Les modes alternatifs existent déjà ;

-Le Burkina Faso n’a pas un code coutumier ou traditionnel ;

La justice traditionnelle a déjà été expérimentée à la veille et au début des indépendances ;

Opérationnalisation, dynamisation et effectivité des modes alternatifs déjà existants qui prennent en charge cette approche
Suppression de la Haute Cour de justice Une suppression de façade (aucune suppression, juste un réaménagement) La Haute Cour de justice a juste été déplacée à la Cour d’appel de Ouagadougou, avec la présence des juges parlementaires » ;

Persistance de la justice à deux sens

Elargissement de la compétence des Tribunaux de droit commun à juger les membres du gouvernement suivant la procédure ordinaire
Exclusion des responsables syndicaux du CSM Suppression de tout obstacle susceptible d’empêcher l’exécutif de faire adopter ses décisions par le CSM dans sa nouvelle configuration Stigmatisation aux allures revanchardes contre les syndicats de magistrats ;

quel enjeu à constitutionnaliser l’exclusion des syndicats au CSM ?

-Traitement discriminatoire unique au Burkina ;

-Dans la fonction publique et dans le secteur privé, les responsables syndicaux participent aux instances dans lesquelles se discutent le sort des membres de la corporation

Maintien des syndicats de magistrats au CSM
Irresponsabilité pénale du Président du Faso s’agissant de certaines infractions (de droit commun) Immunité déguisée au profit du Chef de l’Etat Amalgame entre « Président du Faso » et « chef de l’Etat » dans la formulation de l’article 137 nouveau ;

Immunité d’une tendance anachronique ;

-Exposition (involontaire) du Président du Faso aux appétits des juridictions pénales internationales ou internationalisées

Réserve

B- Observations critiques spécifiques (casuistiques)

Elles seront formulées article par article. Tout naturellement, il s’agira de se prononcer essentiellement sur quelques articles qui touchent le secteur judiciaire. Précisément, les observations porteront sur les nouveaux articles 124, 130, 132, 133, 134 et 137.

Article 124 nouveau :

Le Pouvoir Judiciaire est confié aux juges ; il est exercé sur tout le territoire du Burkina Faso par les juridictions de l’ordre judiciaire et de l’ordre administratif déterminées par la loi.

Toutefois, il peut être fait recours à des modes alternatifs et traditionnels de règlement de différends dont les mécanismes sont déterminés par la loi.

Observations :

Sans être exhaustives, deux observations peuvent être formulées relativement à l’alinéa 2 de l’article 124 nouveau qui ouvre une exception concernant le paysage juridictionnel de notre pays :

En premier lieu, l’évidence crève les yeux qu’il existe déjà des modes alternatifs de règlement des différends tels que la médiation, l’arbitrage, la conciliation, etc., auxquels les parties font recours dans certains cas ; dans d’autres, le recours à un des modes alternatifs leur est imposé comme étape préalable nécessaire à l’ouverture de la procédure judiciaire proprement contentieuse comme en matière foncière ou sociale. c’est donc faire preuve de redondance que de chercher à affirmer constitutionnellement qu’il peut « être fait recours à des modes alternatifs ».

En second lieu, le recours à des modes traditionnels de règlement des litiges sous forme de justice coutumière n’est pas une approche nouvelle dans la dynamique de l’évolution institutionnelle en matière judiciaire ou juridictionnelle dans notre pays. Il suffira de procéder à une analyse diachronique des différentes réformes du secteur judiciaire qui se sont succédées, notamment en 1963, 1979, 1984, 1993 et 2019 pour se convaincre que la dualité juridictionnelle – justice classique et justice traditionnelle – a déjà été expérimentée dans notre pays (pour plus de détails, cf. l’ouvrage du Pr Salif YONABA, Indépendance de la justice et droits de l’homme – Le cas du Burkina Faso, 1997). Si l’objectif est de recourir aux coutumes et traditions pour le règlement des litiges, il s’imposera de s’accorder au préalable sur un Code coutumier ou traditionnel qui, à son tour, devrait procéder à une harmonisation des us et coutumes de la soixantaine d’ethnies que compte le Burkina Faso. Par ailleurs, il faudrait convaincre les adeptes des différentes religions dites révélées (essentiellement l’islam et le christianisme) sur le fait qu’ils devraient suspendre leur foi dans certaines circonstances pour se soumettre à l’application des règles coutumières !

Il est souhaitable que l’alinéa 2 soit supprimé !

Article 130 nouveau :

Les magistrats du siège ne sont soumis dans l’exercice de leurs fonctions juridictionnelles qu’à l’autorité de la loi. Ils sont inamovibles.
Les magistrats du parquet sont soumis à la loi, à l’autorité de leurs supérieurs hiérarchiques et celle du Ministre chargé de la Justice.

Observations :

Il faut une lecture combinée des articles 129, 130 nouveau, 132 nouveau et 134 nouveau pour comprendre que désormais l’indépendance du pouvoir judiciaire est réduite à une formule incantatoire qu’il suffirait d’invoquer pour qu’elle se réalise. Logiquement et téléologiquement, les articles 130 nouveau et 132 nouveau empêchent la mise en œuvre de l’article 129 de la Constitution qui pose de manière déclaratoire le principe de l’indépendance du pouvoir judiciaire. Concrètement :

S’agissant des magistrats du siège, leurs carrières, nominations, affectations et leur discipline seront décidées par un organe politique à la solde de l’exécutif en ce sens que, d’une part, la moitié des membres du CSM non magistrat sera désignée probablement par l’exécutif ou des structures acquises probablement à sa cause (l’intention étant la prise du contrôle totale du CSM) et, d’autre part, le mode de désignation du Président du CSM et de la moitié des membres magistrats est encore décidé par l’exécutif. Le dispositif envisagé est tel que les magistrats du siège seront animés naturellement par le réflexe de faire allégeance au pouvoir politique pour prétendre à des nominations, affectations et promotions alléchantes, ainsi que cela était le cas par le passé !

S’agissant des magistrats du parquet, l’objectif projeté est que les actions tendant à poursuivre un citoyen devant la justice ou de ne pas le poursuivre soient décidées depuis la Présidence du Faso, dans la mesure où, dans notre système politique, c’est le Président du Faso qui nomme le Ministre de la justice et, subséquemment, peut mettre fin à ses fonctions ministérielles à tout moment. De la sorte, en soumettant les Procureurs généraux et Procureurs du Faso aux ordres du Ministre de la justice, en permettant que c’est celui-ci (Ministre de la justice) peut décider de qui peut devenir Procureur général ou Procureur du Faso, il est évident que la mesure de connexion du parquet au Ministre en charge de la justice vise à restaurer une justice aux ordres, à créer des magistrats acquis à la solde du régime. Pourtant, le besoin d’une justice indépendante, d’un parquet déconnecté du gouvernement est constamment exprimé par le peuple burkinabè depuis 1995 !

Il est souhaitable de maintenir la déconnection du parquet du Ministre en charge de la justice dans l’intérêt du justiciable, dans le sens de l’égalité de tous devant la loi et devant la justice ; de même, il est souhaitable que le sort des parquetiers soit décidé par un CSM indépendant digne de ce nom !

Article 132 nouveau :

Le Conseil Supérieur de la Magistrature comprend des membres de droit, des membres élus et des membres désignés. Il est composé pour moitié de personnalités non magistrates.

Ne peut être membre du Conseil supérieur de la magistrature toute personne membre de l’Organe exécutif d’un syndicat de magistrats, d’une association de magistrats, ou de l’organe dirigeant d’un parti ou formation politique.

Les membres du Conseil supérieur de la magistrature élisent en leur sein un Président lequel est nommé par décret en Conseil des Ministres.

Une loi organique précise la composition, les attributions, l’organisation et le fonctionnement du Conseil supérieur de la magistrature.

Observations :

Sans être exhaustives, cinq (05) observations s’imposent :

Premièrement, il est ridicule sur le plan légistique qu’une disposition constitutionnelle opère un renvoi à une loi concernant la composition, les attributions, l’organisation et le fonctionnement d’un organe (en l’espèce le CSM), alors même que la même disposition aborde déjà la configuration de la composition de cet organe. Une démarche qui perd naturellement le logicien, plus habitué à détecter la logique d’une approche que son illogisme !

Deuxièmement, il est paradoxal que la Constitution consacre des libertés fondamentales, dont la liberté d’association, et, en même temps, consacre l’exclusion des associations professionnelles à l’instance suprême dans laquelle elles doivent y mettre en œuvre leurs droits, à savoir le droit à la défense des intérêts matériels et moraux de leurs membres, surtout que le portrait-robot de cette instance ressemble à un organe politique de répression des membres de la corporation !

Troisièmement, il n’existe pas dans le paysage institutionnel et professionnel de notre pays, une composition paritaire comprenant des membres de la profession (pour moitié) et des membres qui ne sont pas de la profession (pour moitié). L’article 6 du Parce pour le renouveau de la justice, incorporé à l’article 72 du Statut de la magistrature, dicte le principe que les membres du pouvoir judiciaire doivent bénéficier des mêmes traitements et considérations que ceux des pouvoirs exécutifs et législatifs. Dans cette logique, si cette approche paritaire doit être instaurée, il faudrait l’appliquer au gouvernement et à l’ALT de sorte que la moitié des membres siégeant au Conseil des ministres ne soit pas des ministres et l’autre moitié soit des ministres, de même, la moitié des membres de l’ALT soit des députés et l’autre moitié ne le soit pas ; dans cette optique, il s’impose que le Président du Conseil des ministres soit désigné par voie électorale par ses pairs avant d’être nommé ! La même logique doit être appliquée à tous les corps de métier au Burkina Faso. Autrement, il s’agit d’un acharnement contre le pouvoir judiciaire qui sera honteusement inscrit dans la Constitution !

Quatrièmement, quel contenu faut-il donner à l’usage du pluriel « chambres disciplinaires » du CSM, employé à l’article 133 nouveau ? est-ce à dire qu’il y aura plusieurs organes disciplinaires qui vont siéger différemment selon le profil du magistrat qui doit comparaitre à la barre de l’instance disciplinaire ?

Enfin, la composition du CSM projetée n’est rien d’autre que la suppression du CSM au sens propre de sa dénomination. Sur sa cendre, renaitra un organe politique au service du pouvoir politique !

Il est souhaitable que l’on consacre la configuration du CSM qui a fait l’objet de consensus et qui s’inscrit dans la logique du Pacte pour le renouveau de la justice et des conclusions du projet de réformes constitutionnelles de 2017. Ce consensus concerne une composition du CSM à 1/3 des membres non magistrats et 2/3 des membres magistrats, le Président du CSM étant d’office le Président de la Cour de Cassation, la plus haute juridiction de l’ordre judiciaire.

Article 133 nouveau :

Le Conseil supérieur de la magistrature donne son avis sur toute question concernant l’indépendance de la magistrature et sur l’exercice du droit de grâce.
Le Conseil supérieur de la magistrature comprend des chambres disciplinaires, une commission des carrières et une commission d’admission des requêtes dont la composition, l’organisation, le fonctionnement et la procédure applicable devant elles sont définies par la loi organique qui le régit.

Observations :

Logiquement, l’alinéa 2 de l’article 133 nouveau 2 doit être rattaché à l’article 132 nouveau qui aborde largement la composition et les attributions du CSM. Techniquement, cet alinéa semble être un intrus dans le contenu de l’article 133 nouveau.

Ensuite, la suppression de l’avis du CSM sur l’exercice du droit de grâce n’est rien d’autre qu’une volonté de faire libérer des détenus qui ne remplissent pas les conditions légales pour en bénéficier. C’est une technique permettant de faire libérer des détenus ayant des affinités politiques avec le pouvoir en place. Cette technique a été expérimentée à ciel ouvert en 2020 sous le prétexte fallacieux de la lutte contre la COVID-19 dans les maisons d’arrêt et de correction.

Il est souhaitable de requérir l’avis préalable du CSM sur les propositions des détenus à la grâce présidentielle.

Article 134 nouveau :

Le Conseil supérieur de la magistrature décide des nominations et des affectations des magistrats du siège.

Les magistrats du parquet sont nommés et affectés sur proposition du Ministre chargé de la justice

Observations :

Désormais, le principe est que, pour espérer être nommé comme Procureur général ou Procureur du Faso, il faut faire allégeance au Ministre de la justice ou au gouvernement. C’est évident qu’avec un tel dispositif, au moins 70% des Procureurs généraux et Procureurs du Faso seront des magistrats à la solde du gouvernement. Naturellement, entre la satisfaction du gouvernement et la satisfaction du justiciable, le choix portera sur la satisfaction prioritaire du premier. Si telle est la volonté du peuple, le SMB en prend acte.

Autrement, il est souhaitable de garantir la liberté d’action des Procureurs du Faso et Procureurs généraux dans l’intérêt des justiciables.

Article 137 nouveau :

Le président du Faso n’est pas responsable des actes accomplis en sa qualité de chef de l’Etat sauf pour des faits constitutifs de Haute trahison, de crime de génocide, de crime contre l’humanité, de crime de guerre, de crime d’agression, de crimes environnementaux, de terrorisme et de détournement de deniers publics.
Les membres du gouvernement sont pénalement responsables des crimes et délits commis dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de leur fonction.

L’action publique pour la répression des infractions contre le Président du Faso et les membres du gouvernement ne peut être mise en mouvement qu’à la fin de leur fonction.

Le Président du Faso et les membres du gouvernement sont jugés par la chambre criminelle de la Cour d’appel de Ouagadougou, comprenant, trois juges professionnels et quatre juges parlementaires.

Observations :

Sans être exhaustives, trois (03) observations s’imposent :

D’abord, l’article 137 nouveau consacre le principe de l’immunité juridictionnelle au profit du Chef de l’Etat qui est confondu au Président du Faso dans la formulation (confusion volontaire ou involontaire ?). La responsabilité pénale du Chef de l’Etat étant circonscrite désormais aux crimes de haute trahison (au contenu flou) et de détournement de deniers publics, aux crimes de génocide, crimes contre l’humanité, aux crimes de guerre, crimes d’agression, crimes environnementaux et crimes de terrorisme. La peur d’être poursuivi pénalement pour toute autre infraction est visible dans cette innovation constitutionnelle. Il est vrai que la mise en veille de la responsabilité pénale du Chef de l’Etat ne sera pas un cas isolé au Burkina mais s’inscrit dans la logique d’une tendance constante des Chefs d’Etat africains (pour plus de détails, cfère l’ouvrage (thèse) de M. Télesphore ONDO, intitulé « la responsabilité (pénale) introuvable du Chef d’Etat africain) »). Cependant, telle que formulée, la disposition constitutionnelle expose insidieusement le Chef de l’Etat à la vindicte des juridictions pénales internationales ou internationalisées !

Ensuite, en conditionnant la mise en mouvement de l’action publique contre le Président du Faso et les membres du gouvernement à la fin de leurs fonctions, cet article consacre en filigrane l’impunité au profit de ceux-ci. En effet, il crée un dispositif d’échappatoire à l’image du créancier qui patiente pour permettre au débiteur d’organiser son insolvabilité. En l’espèce, cette suspension de la mise en œuvre l’action publique permettra aux membres du gouvernement et au chef de l’Etat d’organiser leur non-représentation devant la justice pénale ou, à tout le moins, de faire disparaitre les preuves des infractions pour lesquelles ils seront soupçonnés, de suborner les témoins ou experts ou encore de corrompre la partie poursuivante, étant donné que c’est le ministre de la justice qui proposera désormais à la nomination et à l’affectation des procureurs généraux et procureurs du Faso, titulaires de la charge de la mise en mouvement de l’action publique !

Par ailleurs, il n’est pas précisé que la prescription de l’action publique est suspendue jusqu’à la fin de la fonction.

Enfin, le dernier alinéa opère une résurrection de la Haute Cour de justice. En vertu du fait majoritaire ou de l’influence majoritaire, il est évident que les députés parlementaires seront de la même coloration politique tendancielle que leurs justiciables, à savoir le Président du Faso et les membres du gouvernement. Or, sur les sept (07) membres de la Haute Cour de justice, les 04 seront des parlementaires. Evidemment, les résultats des délibérations sont connus d’avance ! il s’agira des sentences complaisantes, manifestations concrètes du corporatisme politique, la majorité des juges devant siéger étant des députés !

Il est souhaitable que la réforme tende vers l’égalité de tous devant la loi et la justice s’il est vrai que « nul n’est au dessus de la loi ». D’ailleurs, il n’est pas logique de justifier les réformes constitutionnelles par le fait que, à tort ou à raison, les magistrats garantissent l’impunité au profit de leurs collègues et de vouloir tailler une justice qui garantit l’impunité pour les membres du pouvoir politique ! en rappel, les magistrats ont eu le courage de mettre certains de leurs collègues sous mandat de dépôt, de les faire juger et de les traduire devant le Conseil de discipline ; ce qui n’est pas courant dans les autres corps de métier ou les autres pouvoirs constitutionnels (Parlement et Gouvernement) où la tendance est à l’autoprotection corporatiste.

CONCLUSION

Monsieur, le Président de la CAGIDH, honorables députés,

Il vous est demandé de porter la responsabilité historique et anachronique d’adopter des réformes constitutionnelles dont l’enjeu n’est rien d’autre que de créer une justice à l’image d’un hameçon à deux (02) aiguilles qui servira le pouvoir politique à capturer des alevins, une aiguille constituée des procureurs généraux et procureurs du Faso et l’autre constituée des magistrats du siège ! Cette responsabilité contredit celle de vos pairs de 2015 (CNT) qui ont su entériner la volonté populaire du besoin d’une justice affranchie des influences de toute nature et de privilégier l’intérêt du justiciable.

Du coup, il vous est demandé d’opérer le choix des deux (02) portes de l’Histoire :
La grande porte qui vous conduira à rejeter les réformes constitutionnelles qui ne sont pas recevables en la forme, impertinentes, inopportunes, inadaptées et dictatoriales au fond ;

La petite porte qui vous conduira à adopter ces réformes constitutionnelles pour plaire à l’exécutif du moment !

Quoique pessimiste, le SMB tenait tout de même à attirer votre attention sur les conséquences fâcheuses de telles réformes constitutionnelles qui entacheront l’image, la crédibilité et l’efficacité de la Transition dans ce contexte si complexe que fragile !

En tout état de cause, il vous est reconnaissant de l’avoir honoré en l’invitant à formuler ses observations sur l’avant-projet de loi constitutionnelle soumis à votre examen.

Je vous remercie pour votre attention
Décembre 2023

Pour le Syndicat des Magistrats Burkinabè (SMB)

Le secrétaire général

Diakalya TRAORE

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