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Trente-neuf candidats présentés, zéro admis au CEP 2017 à l’école Mahon B: ce qu’on ne dit pas


Les résultats enregistrés au Certificat d’études primaires (CEP) 2017 par l’école Mahon « B », dans la circonscription d’éducation de base de Kangala, province du Kénédougou, se présentent comme suit : Trente-neuf candidats présentés, zéro admis. Trois mois après, les langues commencent à se délier sur cette débâcle scolaire. Notre équipe lève un coin du voile.
La nouvelle a fait l’effet d’une bombe au Kénédougou, et même au-delà : zéro admis au Certificat d’études primaires (CEP), session 2017 à l’école Mahon « B », sur 39 candidats présentés. La circonscription d’éducation de base de Kangala dont relève ladite école est aussi en mauvaise posture au classement provincial, avec un taux de réussite de 28,75% contre 71,68% au Kénédougou. Et depuis la proclamation des résultats, le personnel enseignant de Mahon «B», notamment le directeur et le maître titulaire de la classe, sont dans la tourmente. Ils ne savent plus à quel saint se vouer pour effacer cette «honte» inédite. Dans le village jadis paisible, le climat n’est plus le même depuis juin 2017. Les enseignants et les parents d’élèves ne parlent plus le même langage, et d’autres sont à couteaux tirés. Certains se livrent même à un jeu de ping-pong dans un flou total, sur fond d’accusations mutuelles. Mais dans leur majorité, les parents pointent un doigt accusateur sur le maître titulaire de la classe, Harouna Traoré et le directeur de l’école,  Ousmane Sanogo. Le chef de la circonscription d’éducation de base de Kangala, Jean Apouri, lui non plus n’est pas en reste. Tous les deux sont accusés à tort ou à raison de n’avoir pas accompli convenablement leur mission. «Zéro pour cent, c’est du jamais vu ici chez nous à Mahon !», s’est exclamé Bakary Traoré, un parent d’élève, visiblement très remonté, que nous avons rencontré au détour d’un sentier à Mahon.
Responsabilités partagées
Soungalo Traoré, un sexagénaire à la retraite, résidant à Mahon, trouve par contre, une autre explication à cette contre-performance. En effet, selon lui, une chose est d’accuser les enseignants et une autre est aussi de s’en prendre aux parents. Il n’est pas rare, a fait savoir M. Traoré, de voir certains parents occuper leurs progénitures, des semaines durant, au ramassage des noix d’anacarde. Pire, ajoute-t-il, ces mêmes enfants sont souvent aperçus à des réjouissances populaires jusqu’à des heures tardives, au vu et au su de leurs parents. Ce qui ne leur permet pas de se consacrer aux études. Selon le sexagénaire, les responsabilités sont partagées. Quant au secrétaire général de l’Association des parents d’élèves (APE) de Mahon «B», Arouna Traoré, il n’est pas de cet avis et dit être surpris par ces résultats. Il précise qu’il passait régulièrement à l’école pour s’enquérir des difficultés, mais qu’aucun problème ne lui a été signifié. Elève en classe de CM2, Lamoussa Traoré, encore assommé par cet échec, déclare également que leur maître était assidu en classe, et dispensait convenablement les cours. Mais que s’est-il réellement passé ? Tout confus, le garçonnet de 13 ans reste évasif sur les causes réelles des mauvais résultats de son école. Mardi 27 juin 2017, ce n’est pas encore la période des vacances, mais ce jour-là,  aucune âme n’est perceptible dans la cour de Mahon «B». Les portes des salles de classe sont clauses. Seuls, les animaux ont élu domicile dans l’enceinte de l’établissement. «Où sont passés les enseignants et les élèves?», s’est interrogé un confrère. Plus loin dans le village, on apprendra que le directeur s’était rendu à Bobo-Dioulasso et le maître titulaire à Orodara. Toutes les tentatives de les joindre au téléphone sur place, et plus tard pour négocier un rendez-vous afin d’avoir leurs versions des faits sont restées vaines. Le chef de la circonscription d’éducation de base (CCEB) de Kangala était lui aussi absent, pour des raisons de famille. «C’est une situation que nous déplorons tous», a confié Sita Hébié/Sagnon, directrice provinciale de l’éducation, du préscolaire et du primaire du Kénédougou. Peu bavarde, elle avoue n’avoir jamais été informée au préalable d’un problème particulier concernant Mahon « B ». Mme Hébié dit attendre de réunir tous les éléments nécessaires, c’est-à-dire les différents rapports, avant de se prononcer. Approchées, les autorités communales de Kangala n’ont pas souhaité elles aussi, se prononcer sur le sujet, mais assurent qu’elles feront de leur mieux pour réunir en temps opportun les acteurs impliqués dans cette affaire, afin de diagnostiquer les causes de cet échec et proposer des solutions pour la rentrée prochaine. La veille de notre passage, une rencontre d’urgence a eu lieu dans les locaux de l’école Mahon « B », en présence des deux directrices en charge de l’éducation, tant au niveau provincial que régional, des acteurs et des partenaires à l’éducation, afin de situer les responsabilités. Selon une source digne de foi, au cours de cette rencontre, le maître titulaire de la classe aurait laissé entendre qu’il a fait ses preuves ailleurs. Une semaine après notre passage, le CCEB, de retour à Kangala, sort de son silence. Il en est de même pour le directeur et le maître titulaire de la classe du CM2. Aucun d’eux n’a souhaité être photographié. Nous sommes de nouveau partis, le 4 juillet 2017 à Kangala. En cette journée ensoleillée, il y régnait un calme plat. Une rencontre de crise se tient dans les locaux de l’école «B» du village avec tous les directeurs et les maîtres titulaires des classes du CM2 de la localité. Sous l’ombre d’un arbre de karité, une petite place est vite aménagée pour un entretien avec l’inspecteur, Jean Apouri. Celui-ci ne cache pas son amertume : «Ce sont des résultats qui font très mal». Puis, il présente la situation générale des résultats du CEP dans sa circonscription administrative.
Conflit de leadership entre enseignants
Au titre de l’année scolaire 2016-2017, dit-il, la CEB de Kangala a présenté 553 candidats au CEP et s’en est sortie avec 159 admis, soit un taux de réussite de 28,75%. Dans l’ensemble, reconnaît le CCEB, les résultats ne sont pas éloquents, mais il précise que ce sont des résultats de plusieurs années antérieures. A croire l’inspecteur Apouri, ce sont des résultats qui reflètent le niveau général des élèves de la CEB de Kangala. Et le directeur de l’école Sokouraba « A », Soumaïla Traoré de renchérir : « C’est le niveau réel des élèves d’ici ».
Apparemment, la situation ne semble guère surprenante dans la localité. Mais qu’en est-il exactement de Mahon « B » ? Sur le sujet, les avis sont divergents. Une situation déplorée par le premier responsable de la CEB de Kangala : «En aucun moment, un problème spécifique à la classe du CM2 de Mahon «B» ne nous a été signalé par le directeur de l’école, encore moins le maître titulaire de la classe qui a tenu la promotion depuis le CE2». Et voici ce qu’il nous confie : «Le 14 avril 2017, une équipe d’encadrement a rendu visite au maître titulaire de la classe du CM2 de Mahon «B» pour un suivi. Les leçons que celui-ci a présentées ce jour-là n’ont pas respecté les canevas pédagogiques. Ce qui lui a valu des observations de la part des encadreurs». Des observations qu’il n’a pas voulu prendre en compte et qui auraient provoqué, du coup, la colère du CCEB : «J’étais obligé parfois de hausser le ton pour qu’il se calme». Cette inspection aurait permis à la mission d’encadrement, de relever la mauvaise volonté du maître titulaire, les défaillances de préparation des cours, les méthodologies escamotées et non-maîtrisées, mais aussi et surtout, le manque de sérieux de celui-ci dans le travail. Enfin, l’inspecteur a dit avoir instruit le directeur d’école de suivre attentivement le travail du maître et de lui en rendre compte. C’est ce qui n’a apparemment pas été fait, car jusqu’aux examens, ce dernier n’a signalé aucune anomalie à la hiérarchie. Et pourquoi ? Le directeur de l’école Mahon «B»  répond, «rien». Est-il de connivence avec son adjoint ? Difficile de le savoir. Et pourtant, cet échec n’est guère surprenant, car ladite école a enregistré un seul admis au premier examen blanc de cette année scolaire et deux au second examen. Les uns et les autres étaient donc plus ou moins avertis. Néanmoins, il ressort que dans la CEB de Kangala, certains directeurs refuseraient de dénoncer le mauvais comportement de leurs adjoints, sous prétexte qu’ils ne veulent pas avoir affaire à eux. A Mahon, le directeur et son adjoint indexés, sont tous des instituteurs certifiés. Le premier compte à son actif, 19 années d’enseignement et le second totalise 11 années. Selon des indiscrétions, un conflit de leadership opposerait les deux enseignants. Des propos que réfute le directeur Ousmane Sanogo: «Il n’y a rien entre nous», lance-t-il. Pourtant, il confirme le refus du maître du CM2 de préparer les cours. Depuis la rentrée scolaire, a-t-il dit, c’est une seule fois qu’il m’a apporté son cahier à viser. De son côté, le maître titulaire de la classe du CM2, Harouna Traoré, s’en défend : «Je ne m’y reconnais pas». Et sans hésiter, l’inspecteur s’en prend au directeur qui n’aurait pas joué convenablement son rôle.
Ce qu’on ne dit pas !
La préparation des cours se pose avec acuité dans la quasi-totalité des écoles de la CEB de Kangala. Elle est même citée parmi les causes d’échecs scolaires dans cette localité, qui se résument entre autres, à la mobilité fréquente des enseignants, à l’inexpérience de certains maîtres titulaires des classes de CM2, au manque de respect des adjoints vis-à-vis de certains directeurs d’école, et à la non-maîtrise des curricula. Dans la même veine, le directeur de l’école Sokouraba «A» a souligné que certains maîtres ont hérité des promotions à problème. Mahon « B » n’est pas la seule école de la CEB de Kangala à avoir enregistré un mauvais taux de réussite au CEP 2017. Il en existe bien d’autres dont les résultats sont en-deçà de la moyenne. Il s’agit des écoles à gros effectifs, notamment Kangala «A», Kotoura «A», Mahon «A» et Ouolonkoto. Selon une source digne de foi, ces mauvais résultats constatés dans les différentes écoles de la commune rurale de Kangala résulteraient du strict respect des consignes données lors de la composition, et des travaux de correction du CEP, session de 2017. A en croire notre source, l’application stricte de ces instructions n’aurait pas été du goût de certains enseignants. Cependant, tout le monde ne partage pas le même point de vue sur le sujet. «Le problème est ailleurs», nous confie un autre enseignant ayant requis l’anonymat, que nous avons rencontré à Orodara. Pour lui, le problème serait lié aux rapports difficiles entre l’encadrement et les enseignants sur le terrain. Il affirme qu’en octobre 2016, au cours d’une rencontre de prise de contact avec les directeurs des écoles, les parents d’élèves, les comités de gestion, le chef de la circonscription d’éducation auraient demandé l’accompagnement des partenaires pour sortir « chauffer » les enseignants sur le terrain, car ceux-ci ne feraient pas correctement leur travail. Des propos sur un ton de plaisanterie, mais qui n’ont pas plu à certains enseignants. Ces derniers auraient préféré se mettre en retrait comme de simples observateurs. Ce qui aurait aussi influencé les résultats. Le CCEB ne partage pas cette version et soutient avec force entretenir de bonnes relations avec ses enseignants.
Les effets collatéraux
du phénomène
de la sorcellerie
C’est un élément très important à ne pas négliger, qui pourrait être la cause directe ou indirecte de l’échec de Mahon «B» au CEP. Il s’agit du phénomène de la sorcellerie qui a secoué le village de Mahon. En effet, durant l’année scolaire 2013-2014, une crise sociale est née à Mahon. Des enfants, notamment des mineurs (sous la houlette d’un homme de Dieu de la localité) entraient en transe et accusaient des personnes à tort et à travers, de sorcellerie. Le milieu scolaire a beaucoup été touché par ce phénomène. A l’école «B» de Mahon, la directrice et ses adjoints avaient été accusés de sorcellerie par les élèves. Selon une source bien au parfum des faits, la promotion au CEP 2017 devrait être au CE1. Les cours ont été bâclés cette année-là et ceux qui ont échoué au CEP étaient au CE1, une classe de base pour l’apprentissage des leçons. Conséquence, la promotion «zéro admis» s’était retrouvée avec un gros handicap au CE2, n’ayant pu faire qu’un trimestre de cours à l’intervalle de deux années scolaires. Menacés, certains enseignants auraient  demandé cette année-là à quitter Mahon. A la rentrée scolaire 2014-2015, toute l’équipe enseignante de Mahon «B» a été mutée et renouvelée à 100%. De 2014 à 2017, soit trois ans plus tard, ladite promotion est arrivée au CM2. «Pouvions-nous mieux attendre de cette promotion?» s’est interrogé un enseignant. Si pour les uns, il faut   purement et simplement muter le maître mis en cause, pour d’autres par contre, il faut lui donner une seconde chance, en le maintenant dans cette école et dans la même classe, car la stabilité du personnel enseignant est un facteur important dans la réussite des élèves. En attendant la fin de cet épisode, c’est l’avenir des élèves de la classe du CM2 de Mahon «B» qui est en jeu. Aux dernières nouvelles, nous avons appris que le maître titulaire de la classe de CM2 de Mahon «B», Harouna Traoré ainsi que son directeur, Ousmane Sanogo ont été mutés. Le premier servira à Samogohiri, commune rurale du Kénédougou tandis que l’autre la province du Houet.
Apollinaire KAM
AIB/Kénédougou
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