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Algérie : Abdelaziz Bouteflika renonce à briguer un 5e mandat


Le sixième président de l’Algérie indépendante prend sa retraite. Atteint depuis 2005 d’un cancer de l’estomacAbdelaziz Bouteflika, extrêmement affaibli par un AVC qui l’a cloué dans un fauteuil roulant depuis 2013, a annoncé qu’il ne briguerait pas pour un cinquième mandat consécutif. S’il a profondément marqué l’histoire de l’Algérie, son bilan n’en reste pas moins contrasté. Le Point revient sur les faits marquants de ses vingt années de présidence.

Le président de la réconciliation

Après dix ans d’une guerre civile qui a fait quelque 200 000 morts, c’est un pays traumatisé que récupère Abdelaziz Bouteflika lorsqu’il accède à la présidence algérienne en 1999. Sa mission : réconcilier la nation avec elle-même. Si la pacification du pays est à mettre à l’actif de son prédécesseur Liamine Zeroual, le nouveau président va entreprendre deux mesures fortes pour tourner définitivement la page de ce qu’on a appelé la « décennie noire ». En septembre 1999, il soumet par référendum un projet de loi dite de « concorde civile » qui prévoit une amnistie partielle des militants islamistes n’ayant pas de sang sur les mains, à condition qu’ils renoncent à la lutte armée.

Avec 90 % de suffrages positifs, le vote populaire est un véritable plébiscite. Peu à peu, les maquis se vident et plus 6 000 hommes déposent les armes. La loi d’amnistie sera finalisée en septembre 2005 avec l’adoption d’un second texte, la « charte pour la paix et la réconciliation nationale » prévoyant des indemnisations pour les familles de disparus ainsi des aides pour celles des terroristes. Dès l’année suivante, près de 1 500 islamistes condamnés pour terrorisme sont libérés de prison. Massivement approuvée par référendum (97 % de votes favorables), la charte garantit l’acquittement de toutes les forces de sécurité algériennes, peu importe les exactions commises. Si ces mesures assoient la popularité du président algérien, elles ne permettent pas de déterminer les responsabilités des nombreux massacres, en l’absence d’enquête. Au contraire, elles laissent grande ouverte la question des dizaines de milliers de disparus, qui pèse toujours sur la conscience des Algériens.

L’armée écartée

Fort de cet indéniable succès politique, Abdelaziz Bouteflika, réélu triomphalement en 2004, entreprend sa deuxième réforme de poids. Il n’hésite pas à écarter du pouvoir les principaux généraux militaires, ceux-là mêmes qui l’avaient pourtant porté à la présidence en 1999, mais qui avaient le tort désormais de faire obstacle à son pouvoir absolu. Le président reproduira le même scénario quelques mois avant la présidentielle de 2014, en remaniant les chefs des puissants services de renseignement du département du Renseignement et de la Sécurité (DRS), qui avaient pourtant profité de la lutte contre le terrorisme pour s’infiltrer au cœur des institutions du pays.

Un acteur régional incontournable

Victoire militaire sur les islamistes algériens, soutien armé au Front Polisario, dans le Sahara occidental, face au rival marocain, coopération avec l’Occident en matière de lutte antiterroriste, ou encore gestion autonome (malgré un bilan de 66 morts, NDLR) de la prise d’otages du site gazier d’In Amenas, l’Algérie de Bouteflika s’est affirmée au cours de la dernière décennie comme une puissance régionale incontournable, marquant notamment son refus de toute ingérence étrangère sur son sol.

D’après le rapport 2018 de l’Institut international de recherche sur la paix (Sipri), l’Algérie occupe le 7e rang des plus grands importateurs d’armes conventionnelles dans le monde (3,7 % des exportations mondiales), notamment en raison de la course à l’armement que se livrent Alger et Rabat. Des armes qui servent parfois à la répression interne. Entre avril 2001 et 2002, en pleine période de « réconciliation nationale », l’armée algérienne réprime dans le sang les émeutes identitaires qui éclatent en Kabylie, connues sous le nom de « Printemps noir » : plus de 120 manifestants kabyles sont abattus, 5 000 sont blessés.

L’état d’urgence

Adoptée en 1992, cette mesure interdisait à l’origine tout rassemblement et autorisait les arrestations arbitraires, au nom de la lutte contre les islamistes. Officiellement levé en février 2011, l’état d’urgence serait en réalité toujours en vigueur dans le pays, obstruant considérablement la liberté de manifester ainsi que le droit de grève. En matière de liberté de la presse, Abdelaziz Bouteflika a, dès sa première élection, fait part de sa détermination au respect de la liberté d’expression.

Or, comme le rappelle Reporters sans frontières, qui place l’Algérie au 136e rang sur 180 de son classement mondial de la liberté de la presse 2018, la liberté de l’information en Algérie demeure fortement menacée depuis la dernière présidentielle de 2014. « Les autorités continuent à verrouiller le paysage médiatique à travers l’étranglement financier des médias », poursuit l’ONG. « Sous pressions économique et judiciaire, journalistes et médias peinent à remplir leur mission. »

Sur le plan politique, le président Bouteflika reprend en main en 2005 le parti historique du Front national de la libération (FLN, ancien parti unique), dont il est nommé président. Le FLN s’allie alors au Rassemblement national démocratique (RND) et aux islamistes du Mouvement de la société pour la paix (MSP) pour créer l’« Alliance présidentielle », une coalition pro-Bouteflika qui remporte les législatives de 2007 et de 2012. Or, ces scrutins sont marqués par des soupçons de fraude, ainsi qu’une participation très basse. En outre, il n’existe pas de véritable pluralisme, tous les partis étant accusés d’être cooptés par le pouvoir.

Malgré l’impossibilité pour lui de briguer un troisième mandat, Abdelaziz Bouteflika va pourtant jusqu’à modifier la Constitution en 2008 pour pouvoir se présenter aux élections d’avril 2009. Il les remporte avec un nouveau score « sans appel » : 90,24 % des voix. En 2014, le président, déjà affaibli par son AVC, ne fait pas campagne. Ce rôle échoit à son Premier ministre Abdelmalek Sellal.

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Économie : pétrole et corruption

L’Algérie est le 3e producteur de brut d’Afriqueet le 9e producteur de gaz au monde. Les hydrocarbures représentent plus de 95 % des recettes extérieures du pays et contribuent à 60 % du budget de l’État. Ainsi, la rente pétrolière subventionne aussi bien le carburant et l’eau et les produits de première nécessité, que les secteurs de la santé et des logements. Fort des prix élevés du baril de brut durant la décennie 2004-2014, Abdelaziz Bouteflika s’est lancé dans de vastes chantiers publics (métro d’Alger, autoroute est-ouest ou barrage de Beni-Haroun) et a réussi à désendetter le pays (la dette extérieure est inférieure à 2 % du PIB, NDLR). Le président algérien a également fait le pari de l’ouverture du pays aux entreprises étrangères.

Problème, l’État algérien s’est octroyé la plupart des grands contrats. Ainsi, le bilan présidentiel va être terni par plusieurs scandales de corruption à grande échelle. Dissimulation des malversations de la Banque privée Khalifa, révélation du versement de milliards de dollars de pots de vin dans le cadre de contrats avec la société nationale des hydrocarbures Sonatrach, la multiplication d’affaires dans ces secteurs clés, impliquant l’entourage du président, va illustrer sa mainmise sur les affaires stratégiques du pays… ainsi que la corruption généralisée au sommet de l’État. L’année dernière, l’ONG Transparency International classait l’Algérie à la 105e place sur 180 pays en matière de corruption.

Or, l’économie du pays, qui reste marquée par une forte intervention étatique, a été frappée de plein fouet depuis 2014 par la chute des cours du baril de pétrole. Fin 2018, l’International Crisis Group tirait la sonnette d’alarme, estimant que des réformes étaient urgentes pour diversifier l’économie et avertissant qu’en dépit du « rétablissement du cours du pétrole, la crise économique pourrait frapper le pays dès 2019 ». L’Algérie a beau être un des pays les plus riches d’Afrique, sa population est en constante paupérisation depuis un quart de siècle. 30 % des Algériens de moins de 25 ans sont aujourd’hui au chômage, y compris les hauts diplômés : une potentielle « bombe sociale ».

Le Printemps avorté

L’Algérie n’a pas été épargnée par le Printemps arabe. Début 2011, à l’image de leurs voisins tunisiens, les Algériens descendent eux aussi dans la rue pour réclamer avantage de justice sociale. En réponse, le président Bouteflika injecte quelque 24 milliards de dollars pour mieux indemniser les fonctionnaires et aider la jeunesse. S’il réussit à acheter la paix sociale, le président algérien bénéficie aussi du traumatisme toujours vif au sein de la population de la « décennie noire » du terrorisme.

Pas de changement

La retraite d’Abdelaziz Bouteflika pourrait-elle ouvrir une nouvelle ère politique en Algérie ? Loin de là, en raison de l’absence d’alternative réelle en dehors du système. Cela fait en effet vingt ans que les partis politiques et autres groupes religieux indépendants s’avèrent totalement marginalisés en Algérie, au profit du clan Bouteflika. Autre écueil, la mainmise de la « génération coloniale » et ses « querelles de chapelles » sur la scène politique, au détriment des jeunes, qui forment 70 % de la population du pays et n’ont pas connu la guerre d’indépendance. Ainsi, avant l’annonce de sa retraite, le principal adversaire d’Abdelaziz Bouteflika n’était autre qu’Ali Benflis, ancien Premier ministre… d’Abdelaziz Bouteflika.

Lapresse.ca

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