
Photo illustrative
Le 2 avril 2025, le Président Donald Trump a signé un décret imposant des droits de douane à tous les partenaires commerciaux des Etats-Unis, y compris les pays Africains, au motif que « son pays est lésé depuis des années par les autres pays qui appliquent des mesures protectionnistes nuisant aux exportations américaines ». Par ce décret qu’il a appelé « jour de la libération », Donald Trump entend mettre fin à ce qu’il a qualifié de « décennies d’abus commerciaux ». Cette décision brutale et unilatéraliste viole gravement les droits et intérêts légitimes des autres pays. Elle viole les règles de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) et perturbe sérieusement la stabilité de l’ordre économique et commercial mondial. Les pays africains subissent gravement les conséquences de cette politique « l’Amérique d’abord », en perturbant leur relance économique. Sur les 54 pays africains, une vingtaine se sont vu imposés des droits de douane supérieurs à 10 %. Il s’agit notamment de : l’Afrique du Sud, l’Algérie, l’Angola, le Botswana, le Cameroun, la Côte d’Ivoire, la Guinée équatoriale, le Lesotho, la Libye, Madagascar, le Malawi, l’île Maurice, le Mozambique, la Namibie, le Nigéria, la République Démocratique du Congo (RDC), la Tunisie, la Zambie et le Zimbabwe. Parmi ces pays, le Lesotho est le plus touché, se voyant imposer le droit de douane le plus élevé, soit 50 % ; Madagascar 47 % ; l’Angola 32% ; l’Afrique du Sud 30% et la Côte d’Ivoire 21%.
Cette politique tarifaire est en contradiction flagrante avec la loi sur la croissance et les opportunités économiques en Afrique (AGOA), en vigueur depuis plus de deux décennies. Promulgué en 2000, l’AGOA (African Growth and Opportuniy act) a aboli les droits de douane sur plusieurs produits en provenance de nombreux pays d’Afrique vers les USA. Plus de 31 pays font partie de cette loi AGOA dont la validité doit expirer au Mois de Septembre de cette année 2025. Au regard de la situation, sa prolongation n’est pas assurée. La nouvelle politique tarifaire, véritable offensive douanière du Président Américain s’est propagée comme une onde de choc, exacerbant la vulnérabilité des économies des pays africains et redouter la déstabilisation du commerce mondial. La déstabilisation touchera inévitablement les économies et le commerce des pays Africains, notamment ceux qui sont très liés aux Etats-Unis ou qui dépendent d’une manière ou d’une autre de ce pays. Les chaînes de production industrielle sont susceptibles de provoquer la désorganisation des marchés et de provoquer l’inflation particulièrement au Lesotho, à Madagascar, en Angola, en Afrique du Sud et en Côte d’Ivoire entre autres. Cependant, il semble que la voie de la négociation n’est pas exclue dans la guerre commerciale engagée par Donald Trump. Le Lesotho semble s’inscrire dans cette voie. Si le décret de Trump devait s’appliquer intégralement, l’économie du Lesotho, petit pays enclavé dans l’Afrique du Sud prendrait un sérieux coup. En effet le secteur du textile qui demeure le principal pourvoyeur d’emplois du pays, vit presque exclusivement de la production, essentiellement exportée vers les USA. Au moment où les pays africains doivent faire face aux effets directs ou indirects de la guerre commerciale engagée, les multiples réactions sur le continent indiquent que le moment est celui de l’élaboration d’une stratégie appropriée pour le continent. C’est aussi le moment pour les pays trop dépendants des USA, d’envisager de nouvelles voies, notamment celles de se démarquer d’un partenaire qui n’est pas fiable et qui ne respecte pas ces engagements initiaux. Ils doivent montrer à Donald Trump qu’ils ont la possibilité de faire sans les USA, d’autant plus que cette situation place ce pays, seul contre le reste du monde. Peu importe la puissance des Etats-Unis, si le pays ne revient pas sur la décision prise, il lui sera très difficile de s’en sortir à long terme. D’ailleurs, il ne serait pas étonnant que dans quelque mois, Donald Trump change de politique, si celle qu’il vient de décréter s’avérait négative.
De nombreux observateurs des relations internationales se demandent si le véritable objectif de Donald Trump n’est pas de chercher à négocier des accords commerciaux plus avantageux pour les Etats-Unis. Le Président Américain pourrait aussi vouloir faire imploser un système mondial existant depuis des années dans le but de collecter assez de revenus sur les droits de douane, afin de financer les réductions d’impôts, notamment sur le revenu qu’il veut faire adopter. A ce stade il est difficile d’identifier clairement la position des USA du fait que le Dirigeant Américain est un homme versatile. Face à la situation, le porte-parole du Président de la Commission de l’Union africaine (UA) a exhorté les Etats-Unis à revoir la décision prise. Il a affirmé « croire en la construction de ponts et non de barrières et reste déterminé à collaborer avec les USA pour promouvoir des partenariats mutuellement bénéfiques ». La présidente de la Commission des affaires économiques de l’UA s’est demandée ; quelle riposte l’Afrique doit-elle opérer face à la nouvelle politique tarifaire américaine et comment la calibrer au mieux sans que cela soit préjudiciable aux pays Africains ? La réflexion est aussi menée sur le commerce international qui pourrait être redessiné avec la décision américaine. La vision sera sans nul doute à court, moyen et long terme. D’autres en Afrique pensent qu’il s’agit d’une guerre économique, à la laquelle il faut répondre par une guerre économique. Avec une population de plus d’un milliard, les pays Africains unis peuvent peser lourd face aux USA. A cet égard tous les pays africains doivent être sur la même ligne afin de proposer une réponse franche, claire et unie. Dans sa prise de décision, une réaction qui doit être forte, l’Afrique doit adopter une action coordonnée, pragmatique ; car nul ne sait combien de temps le décret pris par Donald Trump demeurera en vigueur, ledit décret pouvant aussi entrainer un bouleversement du marché intérieur des USA. Au regard de la tension créée par Donald Trump, il parait évident que les pays africains développeront leurs échanges avec d’autres partenaires. Cela contribuera davantage au développement des relations économiques et commerciales Sino-africaines. Nouée depuis les années des luttes pour l’indépendance, l’alliance Chine-Afrique s’est caractérisée par le pragmatisme qu’il faudra entretenir davantage, consolider et approfondir pour la construction d’une communauté de destin Chine-Afrique plus solide, une communauté de développement partagé. Le Forum sur la Coopération Sino-africaine devra prendra en charge la nouvelle donne qui émerge dans le champ des relations internationales.
La Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECA), qui est entrée en vigueur en 2021, dont l’objectif principal est de créer une grande zone commerciale, est source d’importantes opportunités pour un engagement économique plus fort, plus approfondi et exempt de droits de douane. Lors du Sommet Beijing 2024 du Forum sur la Coopération Sino-africaine, la Chine a annoncé la mise en place d’un traitement tarifaire nul à 100 % en faveur des pays les moins avancés (PMA) d’Afrique. Les pays africains et la Chine se sont engagés à renforcer leur coopération dans tous les domaines du développement : les infrastructures, l’énergie, l’agriculture, la santé, les mines, la culture, l’éducation, les technologies, etc…Il mettront en œuvre les dix actions de partenariats Sino-africains pour des intérêts mutuels et une prospérité commune.
Les nouveaux droits de douane imposés par Donald Trump sapent considérablement l’enthousiasme de l’économie des pays africains dont plusieurs sont très liés aux USA par l’AGOA. Si les pays Africains qui sont imposés au minimum de 10% peuvent s’estimer de prime abord mieux traités, l’articulation entre d’anciens accords, d’anciennes règles et les nouveaux tarifs douaniers américains pourraient s’avérer très difficile sur le plan juridique. La tension économique et commerciale créée par les USA impose aux pays africains d’explorer d’autres marchés et d’accélérer l’intégration économique du continent à travers la zone de libre-échange continentale africaine (ZLECA). Contrairement aux Etas Unis qui engagent une guerre tarifaire mondiale, suivie de diverses sanctions, la Chine en tant que grand pays en développement, deuxième économie du monde doit continuer à ouvrir de plus en plus largement ses portes pour incarner, par des actions pragmatiques, une mondialisation économique inclusive et bénéfique pour tous (les Africains en particulier) et une modernisation à la chinoise partagée. L’approfondissement de la coopération économique et commerciale entre la Chine et l’Afrique s’avère mutuellement avantageux. L’amitié de longue date est basée sur le respect mutuel, le pragmatisme, la solidarité agissante, la confiance mutuelle et la fidélité aux engagements initiaux. Depuis des décennies, notamment la création du Forum sur la Coopération Sino-africaine (FOCAC), une croissance soutenue est remarquable dans tous les domaines. En 2024, les échanges commerciaux entre la Chine et les pays africains se sont élevées à plus de 295 milliards de dollars. Dans les pays Africains, la Chine a conduit plus de 640 projets, pour une valeur totale de plus de 150 milliards de dollars, faisant de ce pays, le principal investisseur étranger sur le continent Africain. Le volume des échanges est en nette et régulière progression, témoignant de l’augmentation constante des importations chinoises de produits agricoles en provenance des pays africains. Dans ce cadre, la Chine a mis en place une « voie verte » facilitant le commerce des produits agricoles africains sur le marché chinois. La Coopération Sino-africaine dans le domaine de l’économie numérique connait un développement remarquable, appuyant les pays africains dans la réalisation de la transformation numérique. « L’Initiative la Ceinture et la Route » ouvre largement le champ de la commercialisation de nombreux produits africains de qualité sur le marché chinois. L’étroite complémentarité des économies chinoises et Africaines explique en grande partie la croissance remarquable de la coopération économique et commerciale entre la Chine et les pays l’africains. La Chine est en progrès dans les domaines des capitaux, des technologies et des équipements. Les pays africains disposent de ressources naturelles et d’une main-d’œuvre considérable. Le renforcement des relations économiques commerciales et culturelles entre la Chine et l’Afrique présente d’énormes avantages et potentialités qui permet aux deux parties de tirer d’énormes bénéfices de leurs atouts respectifs et de leurs vastes marchés, pouvant contribuer à la construction de la communauté de destin Sino-africaine.
Afin que le commerce intra-africain et le commerce entre les pays africains et la Chine se développent davantage, il est important que les infrastructures de transport et de communication à travers l’Afrique couvrent le continent de façon optimale. A cet égard, la coopération Sino-africaine doit continuer à accorder une grande priorité à la réalisation des infrastructures appropriées dans les pays africains, afin de favoriser l’intégration commerciale et économique. De nombreux projets visant à faciliter davantage l’intégration économique et financière, les échanges et la coordination des politiques de développement entre la Chine et les pays africains sont en émergence. La réalisation de ces nombreux projets, permettra de garantir l’harmonisation et le renforcement des stratégies de développement de la Chine et des pays africains. Depuis la création du Forum sur la Coopération Sino-africaine à Beijing en 2000, les entreprises chinoises ont réalisé dans les pays africains plus de dix mille (10 000) kilomètres de chemin de fer, 100.000 kilomètres de routes, plus de mille (1 000) ponts, une centaine de ports, 130 hôpitaux, 80 stades de sports, 170 écoles et universités, 500 projets d’agriculture, 150.000 km de communication backbone network, 66.000 km de power transportation and distribution. La liste n’est pas exhaustive. Les financements et la réalisation de projets d’infrastructures ont fait de la Chine un important créancier de l’Afrique, offrant aux pays africains une source de financement fiable dans tous les domaines du développement. Dans le contexte de l’excellente coopération sino-africaine, le secteur privé chinois doit continuer à jouer un rôle plus important dans les secteurs du commerce et de l’investissement en Afrique. Il n’y a aucun doute que la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECA) contribuera à accélérer cette tendance favorisant ainsi la croissance sur le continent. Les deux parties devraient privilégier le renforcement de la coordination entre le Forum sur la Coopération Sino-africaine, l’Initiative « la Ceinture et la Route » et la ZLECA et l’Agenda 2063 de l’Union Africaine (UA), afin de faire émerger pleinement l’immense potentiel existant. Les investissements devraient promouvoir et viser à renforcer la connectivité commerciale dans la région de la ZLECA, à catalyser les projets d’industrialisation. Une bonne coordination et une synergie de qualité contribueront à garantir des avantages mutuels et une croissance durable pour les deux partenaires.
L’histoire contemporaine nous enseigne que l’Afrique a besoin de la Chine et la Chine a besoin de l’Afrique. Les besoins de l’émergence du continent africain relèvent que les investissements, les appuis de la Chine dans les divers domaines du développement jouent un rôle important dans la promotion de la coopération économique et commerciale entre la Chine et l’Afrique. Pour le long terme, la Chine doit s’engager avec les pays africains en œuvrant pour des structures commerciales mieux équilibrées, pour une contribution plus importante à la réalisation de la valeur ajoutée en Afrique. /.
Prof. Yoro DIALLO
Chercheur Principal / Directeur du Centre d’Etudes africaines
Directeur du Musée Africain et du Musée des Echanges Chine-Afrique
2024 Chinese Government Friendship Award
Institut des Etudes Africaines / Zhejiang Normal University, China
E-mail : inadial@yahoo.com Télé :15888991173