Il suffit d’entrer dans un café, une salle d’attente ou même une réunion de famille pour le constater : les regards sont rivés sur les écrans, les doigts glissent inlassablement sur les surfaces tactiles, et le silence s’installe là où, jadis, résonnaient discussions et éclats de rire. Nous vivons une ère paradoxale où l’hyperconnectivité semble avoir déconnecté nos relations humaines.
Une illusion de proximité
Sur les réseaux sociaux, les interactions s’enchaînent à un rythme effréné. Un décès est annoncé ? Aussitôt, une avalanche de « RIP », « Condoléances », et autres « UDP » (Union De Prières) déferle sur les fils d’actualité. Un clic, un message, et voilà, mission accomplie ! Plus besoin de se déplacer, d’apporter un soutien réel, de serrer une main ou de verser une larme en présence des endeuillés. Aujourd’hui, exprimer sa compassion tient en quelques caractères. Et demain ?
Autrefois, un mariage était un événement mobilisateur. Les familles distribuaient les cartes d’invitation en allant de porte en porte, créant ainsi une occasion de renouer avec parents et amis. Aujourd’hui, WhatsApp se charge de tout. Une invitation numérique, un accusé de réception, et c’est réglé. Loin des retrouvailles chaleureuses d’antan, la socialisation se réduit désormais à un simple partage de lien. Dommage. C’est ainsi que nous passons le temps à socialiser… sans société.
Un tissu social en péril
Plus troublant encore : l’isolement au sein même des groupes. Il n’est plus rare de voir des amis réunis autour d’une table, absorbés par leurs écrans, chacun vivant une réalité parallèle. Même les couples ne sont pas épargnés : assis côte à côte, ils scrollent sans échanger un mot. Pourquoi alors sortir ensemble si c’est pour ignorer la présence de l’autre ?
Autrefois, le repas familial était un moment sacré. Autour du plat commun, les parents racontaient des histoires, transmettaient des leçons de vie et façonnaient l’éducation des enfants. Aujourd’hui, ce rituel s’efface progressivement. Les discussions cèdent la place aux vidéos TikTok, aux notifications et aux échanges numériques stériles.
Le clair de lune, l’arbre à palabres, les jeux et les chants sous le ciel étoilé… Tout cela semble désormais enfermé dans un téléphone. Ces moments d’apprentissage, de transmission et de partage, qui structuraient autrefois nos sociétés, se volatilisent au profit d’une interaction froide et désincarnée.
Un phénomène contre nature pour l’Africain
Pendant longtemps, la solitude était perçue comme une réalité propre aux Européens, liée à leur organisation sociale. Nous apprenions que, chez eux, les enfants pouvaient passer des mois, voire des années, sans voir leurs parents, se contentant d’un appel téléphonique de temps en temps. Pour l’anniversaire d’un père ou d’une mère, il suffisait d’envoyer un bouquet de fleurs via un fleuriste. Nous trouvions cela choquant, scandaleux même.
Mais aujourd’hui, ironie du sort, nous avons non seulement emboîté le pas, mais nous avons dépassé les Européens ! L’Africain, jadis ancré dans une culture de proximité, de solidarité et de contact direct, s’isole à son tour. Avec les réseaux sociaux, nous avons troqué nos valeurs communautaires contre une illusion de connexion permanente. La situation est devenue pire. « Plus pire même ! » diraient certains, avec un mélange d’ironie et de regret.
Et que dire, de certains de nos policiers et autres FDS, Forces de Défense et de Sécurité, que l’on voit à leur poste de travail en train de manipuler leur téléphone comme si l’ennemi allait prévenir avant d’attaquer ? C’est un drame !
Un regard anthropologique à prendre au sérieux
Face à cette mutation brutale du lien social, l’anthropologue ne peut rester indifférent. Loin d’être une simple évolution technologique, cette transformation bouleverse les fondements mêmes de nos sociétés. Nous assistons à un effacement progressif des pratiques qui, pendant des générations, ont cimenté les relations humaines.
Sommes-nous condamnés à cette solitude en réseau ? Peut-être qu’un jour, nous regarderons en arrière avec nostalgie, réalisant que nous avons troqué la chaleur du contact humain contre le confort froid du numérique.
Il est encore temps de redonner du sens à nos relations. Éteignons nos écrans, levons les yeux, parlons, écoutons. La vraie connexion n’a jamais eu besoin de Wi-Fi.