L’arrivée à Ouagadougou du président Mahamat Idriss Déby Itno pour une visite officielle de 48 heures, les 23 et 24 février 2025, dépasse de loin le simple cadre culturel du FESPACO. Certes, le Tchad est mis à l’honneur pour cette 29eme édition du prestigieux festival, mais il serait réducteur de ne voir dans ce déplacement qu’un acte protocolaire. Il s’agit en réalité d’un moment clé, porteur d’enjeux géopolitiques majeurs, alors que l’Afrique sahélienne est en pleine mutation.
Le Burkina Faso et le Tchad ont opté pour une rupture stratégique avec l’ancienne puissance coloniale. Ils ont marqué un « divorce » net d’avec la France en exigeant le départ de ses bases militaires. Bien que motivées par des contextes différents, ces décisions traduisent une même aspiration : celle d’un renforcement de leur souveraineté nationale et d’une redéfinition des relations internationales. Cette orientation commune n’est pas un hasard, mais bien le signe d’un réalignement stratégique au sein du Sahel, où les États cherchent désormais à forger des alliances qui répondent mieux à leurs besoins sécuritaires et économiques.
Un dialogue entre ex-membres du G5 Sahel
Autrefois unis au sein du G5 Sahel, le Burkina Faso et le Tchad se retrouvent aujourd’hui à un tournant. Tandis que le Burkina Faso, le Mali et le Niger ont pris leur distance en quittant la CEDEAO et en fondant l’Alliance des États du Sahel (AES), le Tchad maintient encore des liens avec certaines institutions régionales et internationales. Cette visite offre donc une opportunité aux deux pays d’explorer de nouveaux modes de coopération, notamment dans les domaines sécuritaire et économique, sans s’inscrire forcément dans les cadres imposés par l’Occident.
Le séjour du Maréchal à Ouagadougou et la quintessence du communiqué officiel qui en a résulté présagent-ils un rapprochement avec la Confédération ? L’AES s’impose progressivement comme une alternative crédible à la CEDEAO, adoptant une approche pragmatique face aux défis régionaux. Le Tchad, bien qu’encore en dehors de cette confédération, occupe une position stratégique qui pourrait jouer un rôle clé dans l’évolution des relations interétatiques. Cette visite pourrait bien être le prélude à un renforcement des liens entre N’Djamena et l’AES, voire à une adhésion future du Tchad à cette alliance émergente.
Encore des obstacles à surmonter
L’espoir de voir le Tchad adhérer à l’AES pourrait s’estomper avec le souvenir de l’attitude maladroite du Mali envers ce pays au moment où le G5 Sahel s’est pleinement engagé dans la lutte contre le terrorisme. En effet, la demande express de Bamako du départ des troupes tchadiennes sur son territoire a été doublement reçue à Ndjamena comme une ingratitude et une humiliation. Le Tchad et la France ont été mis dans le même sac par la campagne malienne pour se débarrasser de la Mission des Nations Unies pour le Mali (MINUSMA). Alors que l’on se rappelle qu’au-delà de toutes les supputations et tergiversations, le contingent de Idriss Deby Itno dont l’actuel président-maréchal a été le commandant en second s’est particulièrement distingué dans cette guerre en se mettant volontairement en première ligne et en engrangeant des victoires significatives.
A cela, s’ajoute le retrait sine die des trois pays que sont le Burkina Faso, le Mali et le Niger du G5 Sahel pour créer l’AES du G5 en dépit des missions de bons offices du Tchad pour les maintenir au sein de ce bloc. Cette sortie a précipité la « mort » du G5 Sahel auquel Deby père tenait tant. Les relations internationales ayant aussi leur côté de rancœurs, de rancune et de méfiance, il faut craindre des hésitations et même un refus de Ndjamena de rejoindre l’AES même si les autorités tchadiennes se montrent disposées à entretenir une coopération privilégiée avec chacun des trois de l’AES et la Confédération en tant qu’entité sous régionale de premier plan.
Une Afrique sahélienne en pleine transformation
Au-delà des implications immédiates, cette rencontre entre les chefs d’État burkinabè et tchadien traduit une ambition plus vaste : celle d’une souveraineté régionale pleinement assumée. À l’heure où de nombreux pays africains remettent en question leur dépendance vis-à-vis des anciennes puissances coloniales et des institutions internationales, il devient essentiel de repenser les partenariats et de promouvoir des solutions africaines aux défis du continent.
Ce séjour de Mahamat Idriss Déby Itno à Ouagadougou ne saurait donc être réduit à une simple visite diplomatique. Il s’inscrit dans une dynamique plus large, celle d’une refondation des relations interétatiques au Sahel. Reste à savoir si ce premier pas marquera le début d’une transformation durable et significative pour la région.
Gnisbila Rinda YOULOU/netafrique.net