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Sénégal-Mauritanie: des relations d’un parfait désamour


Entre la Mauritanie et le Sénégal rien ne va. Même si personne n’ose le dire ouvertement. Diplomatie oblige. Mais les signes du désamour entre Dakar et Nouakchott ne trompent pas.

C’est une querelle de leadership sous-régional qui ne date pas d’aujourd’hui mais qui a été exacerbée par l’arrivée au pouvoir, dans les deux pays de présidents qui ont le même tempérament et, avec des contextes différents, la même ambition : marquer l’histoire.

les presidents Mohamed Ould Abdelaziz et Macky Sall

les présidents Mohamed Ould Abdelaziz et Macky Sall

Le président mauritanien n’a pas été au Forum international de Dakar sur la Paix et la Sécurité en Afrique organisé les 13 et 14 novembre 2017. Il s’est fait représenter non pas par un ministre mais par l’ambassadeur de Mauritanie au Sénégal. Une réaction. Initiateur du G5 Sahel, et en peine pour forcer la main des Américains, maîtres de l’Onu, pour financer son regroupement militaire destiné à remplacer la force Barkhane, Mohamed Ould Abdel Aziz ne veut pas de l’intrusion du Sénégal dans son « affaire ». Le G5 Sahel réclame 450 millions d’euros par an pour l’effectivité de ses contingents de 5000 hommes! Dakar chercherait-il alors à contrarier le démarrage, sans enthousiasme, à vrai dire, d’un G5 Sahel dont il est exclu par la volonté de Nouakchott ?

Entre les deux pays, les scènes de ménage deviennent fréquentes, et l’on se pose de plus en plus de questions sur l’avenir du projet de gaz qu’ils comptent exploiter en commun sous les auspices de Kosmos Energy. La réalité de la découverte, et son importance, étant assurées, la société américaine, alliée à British Petroleum (BP) peinerait à mettre d’accord les deux partenaires qui, qu’ils le veuillent ou non, sont pourtant unis pour le meilleur et pour le pire.

Ils sont, tous deux, membres influents de l’Organisation pour la mise en valeur du fleuve Sénégal (OMVS), l’un des rares regroupements sous-régionaux qui marchent en ces temps de crises multiformes. La Mauritanie frappe, à nouveau, aux portes d’une CEDEAO (Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’ouest) que les caprices de la politique et d’une identité arabe tumultueuse lui ont fait quitter en 2000. Parce que le pays, que Moctar Ould Daddah qualifiait pourtant de « trait d’union» entre le monde arabe et l’Afrique, voulait se consacrer à la construction de l’Union du Maghreb Arabe. Une organisation créée en 1989 qui est restée inachevée, à cause de divergences sur la question du Sahara Occidental.

Les raisons d’entente et de bon voisinage sont nombreuses mais la suspicion et les susceptibilités nées des événements de 1989 entre les deux pays sont entretenues par des va-t-en-guerre ici et là-bas. Sur des questions internes, comme la crise des pêcheurs sénégalais en Mauritanie sommés de rentrer chez eux, en février 2017, ou l’asile et la bienveillance que Dakar accorde à l’opposant Biram Dah Abeid, président de l’initiative pour la résurgence d’un mouvement abolitionniste en Mauritanie (IRA).

Sur le plan extérieur, c’est la crise gambienne qui a livré au monde l’ampleur des divergences entre Dakar et Nouakchott.

Alors qu’en Mauritanie la propagande officielle bat son plein pour mettre en avant le «triomphe» du président Aziz, ami de Yaya Jammeh et sur le point de le faire plier, Macky Sall engage ses troupes en Gambie pour chasser du pouvoir le dictateur de Banjul. L’amour-propre du président Aziz est touché quoique l’Union africaine accepte de l’associer aux négociations de dernières minutes menées par son président en exercice, le Guinéen Alpha Condé.

Le gaz et ses enjeux

Les relations « froides » entre la Mauritanie et le Sénégal risquent d’avoir de lourdes conséquences sur l’exploitation du gisement transfrontalier de Tortue découvert par Kosmos Energy. La société américaine devra faire preuve de beaucoup de diplomatie, et user de tous ses moyens de persuasion, pour que les deux pays acceptent de taire leurs divergences politiques pour asseoir leur nouvelle position stratégique.

Kosmos aurait bien réussi à dépasser la phase cruciale, à savoir l’accord d’exploitation commune, mais elle se heurte au mur des susceptibilités, quand il s’est agi d’aborder la question des installations sur terre et de l’accord de développement attendu par les pétroliers depuis près d’un an. Pourtant, il faudrait bien qu’il y ait accord, au risque d’hypothéquer ce projet de nature à contribuer à la croissance des économies sénégalaise et mauritanienne. Quelque 25 trillions de pieds cubes de gaz. Une aubaine pour les deux pays.

Au Sénégal, les grands chantiers de l’émergence sont un gouffre financier. Les ressources externes sont coûteuses et difficiles à mobiliser. La rente tirée de l’exploitation du gaz, annoncée pour 2021, peut aider à amortir les coûts.

En Mauritanie, le président Aziz, qui achève son deuxième mandat, a aussi lancé plusieurs gros chantiers que le gouvernement peine à parachever faute d’argent frais. La dette du pays a atteint des sommets (5 milliards de dollars US, soit 93% du PIB). Une situation de quasi faillite qui doit pousser la Mauritanie à saisir l’opportunité du gaz de Tortue et faciliter la sortie (ou le maintien) du pouvoir actuel en 2019.

En dehors des aléas de la politique, les sociétés exploratrices sont déjà engagées dans une course contre la montre. En 2018, elles devraient prendre la décision finale d’investissement (mobilisation des fonds et annonce de la date du développement du gisement et, in fine, le début de la production. D’ores et déjà, la question du «comment exploiter» est réglée : Kosmos Energy et BP ont choisi de vendre une grande partie de la production via deux Floating Liquefied Natural Gas (FLNG). Ces embarcations géantes réceptionneront le gaz, le liquéfieront avant que des méthaniers ne viennent charger la cargaison devenue ainsi liquide. Pas besoin donc de construire des infrastructures de production et de transformation du gaz à terre ; ce qui évite les écueils du choix entre la Mauritanie et le Sénégal.

Ce projet de développement de gaz constitue, à l’heure actuelle, le principal enjeu pour les deux États. Les présidents Macky Sall et Mohamed Ould Abdel Aziz doivent appuyer, en même temps, sur le bouton déclenchant le lancement de l’exploitation. Pour l’instant, la négociation bilatérale sur une validation de « l’accord de coopération intergouvernemental » traîne en longueur et créé de l’embarras pour les pétroliers. Alors, les populations qui fondent de grands espoirs sur Tortue doivent se dire que, finalement, le « bien commun » risque de rester enfui dans les tréfonds de l’océan. Sans profiter à personne, à cause des inimitiés entre deux présidents « en guerre froide » depuis quatre ans.

Source:afrimag

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