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L’accord turco-russe enterre l’éphémère autonomie des Kurdes de Syrie


Des déplacés kurdes bloqués à la frontière syro-irakienne, au point de passage de Semalka, à proximité de la ville de Derik, en Syrie, le 21 octobre 2019.Trahis par le retrait des soldats américains et affaiblis par l’offensive turque, les Kurdes de Syrie vont perdre le contrôle de leur région et voient leurs espérances d’autonomie réduites à néant, après l’accord turco-russe signé le 22 octobre.

La brève expérience autonomiste des Kurdes de Syrie semble avoir vécu, après l’accord conclu, mardi 22 octobre à Sotchi, entre le président turc Recep Tayyip Erdogan et son homologue russe Vladimir Poutine pour le contrôle commun d’une large partie de la frontière turco-syrienne.

Un « memorandum » qui entérine un retrait total des forces kurdes des Unités de protection du peuple (YPG) jusqu’à 30 km de la frontière turque et le long des 440 km séparant le fleuve Euphrate de l’Irak. Le texte prévoit également que Russes et Syriens œuvreront ensemble « pour faciliter le départ » de tous les combattants de la milice kurde et leur désarmement, scellant la perte de toute autonomie et de pouvoir pour les Kurdes, qui avaient joué un rôle majeur dans la lutte contre les jihadistes de l’organisation État islamique en Syrie.

Affaiblis par l’offensive turque déclenchée le 9 octobre, rendue possible par le retrait des forces américaines déployées aux abords de la frontière, les Kurdes doivent abandonner plusieurs villes qu’ils administraient jusqu’ici, à l’exception de Qamichli, capitale de facto de leur région.

La Turquie, qui rejette toute velléité d’autonomie kurde au large de sa frontière avec la Syrie, qualifie les YPG et le PYD, principal parti kurde, de « terroristes » en raison de leurs liens avec le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) qui mène une guérilla en Turquie depuis 1984, aura obtenu gain de cause.

« Sous le choc »

« Les Kurdes sont toujours sous le choc, ils ont compris que leur rêve et leurs espoirs de créer un État indépendant ne sont plus d’actualité, et qu’ils vont devoir vivre désormais sous l’autorité du président Bachar al-Assad, qui n’est pas prêt à leur offrir plus d’autonomie », explique à France 24 Joshua Landis, directeur du Centre d’études moyen-orientales à l’université d’Oklahoma et spécialiste de la Syrie.

Appelé à la rescousse par les forces kurdes lâchées par le président américain Donald Trump, le régime syrien est, avec son allié russe, l’un des grands gagnants de l’accord. Damas va pouvoir en effet reprendre le contrôle des zones qui lui échappaient en récupérant tous les territoires du Rojava, nom de la fédération autonome kurde crée en mars 2016, désormais hors de portée de l’armée turque et ses supplétifs syriens.

« Les YPG ne pourront plus opérer dans cette zone comme auparavant, et par conséquent le régime syrien va restaurer son autorité jusqu’à la frontière et dans de nombreuses zones, à l’exception de celles qui sont déjà occupées par les Turcs et dont le sort reste incertain », indique Joshua Landis. L’accord, qui évoque le maintien du « statu quo » dans cette région,ne précise aucune date de retrait pour les Turcs.

Et d’ajouter : « Il s’agit d’une grande victoire pour Bachar al-Assad et la Russie, parce qu’ils ont réussi à stopper l’invasion turque dans le nord-est de la Syrie, alors qu’Ankara comptait y établir une zone de sécurité placée sous le contrôle unique de l’armée turque ». Des garde-frontières syriens devaient reprendre le contrôle des points de passage à partir de mercredi.

Un « compromis » plutôt qu’un « génocide »

Maigre consolation pour les Kurdes : à la suite de l’accord, la Turquie a annoncé mettre fin à son offensive militaire, et renoncé de facto à étendre sa « zone de sécurité » à quelque 450 km de longueur comme elle en avait l’intention, se contentant de 120 km et de 30 km de profondeur entre les localités de Tal Abyad et Ras al-Aïn. En outre, des patrouilles conjointes russo-turques seront mises en place dans ces portions frontalières, sur une profondeur de 10 km, à partir du 29 octobre.

« Cela permet de contrebalancer les mauvaises nouvelles que contient l’accord, car dans leur malheur, il s’agit relativement d’une bonne nouvelle pour les Kurdes, qui préfèrent voir des patrouilles russes ou syriennes plutôt que d’être sous le feu direct des Turcs ou d’être obligés de fuir leur région, estime Joshua Landis. Comme par exemple à Kobané [symbole de la résistance kurde au groupe État islamique, NDLR], qui sans cet accord serait tombée dans la zone espérée par la Turquie ».

Le président Recep Tayyip Erdogan a toutefois prévenu qu’il prendrait « toutes les mesures nécessaires » si l’accord de retrait des YPG n’était pas respecté.

Mazloum Abdi, le chef des Forces démocratiques syriennes (FDS), la coalition anti-jihadiste arabo-kurde dominées par le YPG, a déclaré préférer les « compromis » à un « génocide ». Il a également remercié Moscou d’avoir sauvé les Kurdes syriens du « fléau » de la guerre.

L’opération turque, baptisée « Source de paix », a provoqué la mort de plus d’une centaine de civils et de plus de 250 combattants des FDS, selon l’OSDH, ONG syrienne basée à Londres. De son côté, James Jeffrey, émissaire américain pour la Syrie, a déclaré mercredi avoir constaté « de multiples incidents » considérés comme des « crimes de guerre » perpétués par la Turquie ou des groupes pro-Ankara, sans préciser lesquels. Devant la commission des Affaires étrangères de la Chambre des représentants américaine, il a en revanche nié tout potentiel « nettoyage ethnique » de la part d’Ankara.

Réfugiés en Irak

L’offensive turque a provoqué l’exode de 160 000 personnes, d’après l’ONU, tandis que plus de 7 500 Kurdes de Syrie ayant échappé aux combats sont désormais réfugiés au Kurdistan irakien frontalier. L’ONU et les humanitaires prévoient d’accueillir en Irak jusqu’à 50 000 Syriens au cours des prochains mois, assure l’ONG Conseil norvégien pour les réfugiés (NRC).

« Non seulement à cause des combats, mais aussi de la peur de ce qui va advenir ensuite », affirme dans un communiqué Rishana Haniffa, directrice du NRC en Irak.

Dans le Rojava, abandonné par les troupes syriennes en 2012 – un geste de Damas censé convaincre les Kurdes de ne pas rejoindre les rangs de la rébellion – les Kurdes avaient installé leurs propres institutions publiques. Ils s’étaient doté d’un « contrat social », une sorte de Constitution, et avaient mis en place des écoles où est enseignée la langue kurde, après avoir été longtemps marginalisés et opprimés par le régime baasiste, qui refusait de leur accorder leurs droits culturels et politiques. Un régime qui est revenu en force aujourd’hui dans cette région riche en pétrole.

En juillet 2018, la minorité kurde avait initié des pourparlers inédits avec Damas, dans l’espoir d’arriver à une intégration dans le cadre d’une « décentralisation ». Reste à savoir si une telle option existe dans les plans de Bachar al-Assad, alors que les Kurdes ne sont plus en position de force pour négocier.

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