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Femmes malades mentales: indésirables le jour, violées la nuit


Dans certaines villes du Burkina Faso, des malades mentales portent souvent des enfants au dos ou errent avec des grossesses contractées dans les rues. Ces grossesses, fruits de viols, sont cependant, l’œuvre d’hommes jouissant de toutes leurs facultés mentales.

Elise Zoungrana, 30 ans, vient de donner naissance à son deuxième enfant. La voix peu audible, le regard perdu dans le vide, elle souffre de schizophrénie. Elle vit au secteur 4 de Ouahigouya, aux soins de sa grand-mère, une octogénaire. La vie, elle la croquait à pleines dents, jusqu’au jour, où ses « câbles » ont pété. Cette femme au teint clair, pilier de sa famille, devient alors un fardeau pour les siens. Elise contracte une grossesse en pleine crise de folie. Profitant de son état de santé, son « guérisseur » abuse d’elle à plusieurs reprises. « C’est ainsi qu’elle a contracté sa première grossesse. Il a reconnu en être l’auteur. Cela m’a vraiment découragé.

Puisque, je suis allé personnellement, la confier à ce guérisseur pour qu’elle suive un traitement. Ce dernier a malheureusement profité de sa maladie mentale pour la violer et l’enceinter », déplore Droubiel Sié, demi-frère de Elise. Durant neuf mois, elle errera avec sa grossesse dans les rues de la cité de Naaba Kango.  Sans assistance médicale, elle donne naissance à son fils ainé A.D. « Dans la cour, personne ne se préoccupe de sa santé. La grand-mère aussi est affaiblie par le poids de l’âge. Et moi, je suis toujours en déplacement pour raison de service. Avec son état de santé, elle ne peut pas s’occuper d’elle-même et comment s’occupera-t-elle d’un enfant ? », se lamente son jeune frère. Quelques années passent.

Son « guérisseur » nourrit toujours des désirs charnels pour elle. Clandestinement, il entretient des rapports sexuels avec sa « patiente ». Au grand dam de son frère cadet, Elise tombe de nouveau enceinte. Elle identifie clairement l’auteur. A la surprise générale, son bourreau est encore son ex-guérisseur. « Il m’a dit qu’il m’aime et on se voyait régulièrement », confie-t-elle, toute souriante. Pour la seconde grossesse, Sié dit ignorer comment cela a pu se produire, puisque sa sœur n’était plus sous le toit du guérisseur. Elle a toujours des troubles psychologiques, mais elle a désormais à sa charge deux enfants, sans l’aide de son « prince charmant », introuvable. Inconscientes, sans défense, les femmes malades mentales sont de plus en plus, les cibles de prédateurs sexuels.

Cette « chasse » se solde par des viols et des grossesses non désirées. Sylvie, 21 ans, a déserté la cour familiale après avoir « piqué » la folie. Dans la ville de Gourcy, où elle erre, ses rondeurs attirent les hommes à la « gâchette » facile. Inoffensive, des inconnus abusent d’elle dans les buissons où, elle a élu domicile. Les jours se succèdent. Sylvie tombe enceinte. Neuf mois s’écoulent…Le bébé veut voir la lumière du jour. Le travail commence. Son liquide amniotique coule. Le col de son utérus est ouvert. Elle baigne dans son sang. Dans des conditions atroces et en solitaire, elle donne naissance à un garçonnet, dans les immondices. Elle sectionne le cordon ombilical de son bébé.

…les malades mentales n’arrivent pas à s’occuper
de leurs nourrissons .

Ses cris et ceux de son bébé alertent le voisinage. Impossible pour les « secouristes » de l’approcher. Dans la broussaille, mère et fils sont à la merci des reptiles et des intempéries…Deux jours sans assistance médicale, le nourrisson passe de vie à trépas. Ignorante, Sylvie porte « fièrement » la dépouille mortelle de son bébé au dos, dans les rues de Gourcy. « L’enfant est décédé deux jours après son accouchement. Il est mort sans qu’elle ne le sache. Elle ne voulait pas nous remettre l’enfant. Nous avons dû lui dire que l’enfant dormait et avait besoin de se reposer un moment. C’est ainsi qu’elle nous a remis le corps de son enfant», témoigne le président de l’Association
« Sauvons le reste», Adama Ouédraogo, qui a fait de la protection des malades mentaux son cheval de bataille.

Des pères introuvables

L’auteur de la grossesse de Sylvie est introuvable. C’est aussi le triste sort que vit Awa qui a déposé son baluchon dans l’enceinte de l’église catholique de Yako. En quémandant dans la rue, cette femme qui souffre de troubles mentaux est tombée dans le « piège » des agresseurs sexuels. Pire, l’un de ses « bons samaritains » l’enceintera. Ali, le maçon sur qui pesaient les soupçons va prendre ses jambes à son cou après avoir su que germait en Awa, le fruit de leurs ébats sexuels. Agé de trois ans, René n’aura pas la chance de connaitre son géniteur. « Le père, selon les dires, était membre d’une équipe de construction d’un bâtiment.

Il serait vivant, mais nous n’avons pas ses traces », affirme le Directeur provincial en charge de la famille et de l’action humanitaire, Gaston Nassouri. Dans la plupart des cas, les pères sont invisibles. Yves, âgé d’un peu plus d’un an aujourd’hui, a intégré l’orphelinat de l’Association pour la sauvegarde de la femme et de l’orphelin au Passoré, à l’âge de trois mois. « Sans père », ce nourrisson a été arraché dans la rue des mains de sa mère, Korotimi Zougouri dans la ville de Tougan, par les services de l’action sociale. Bouba, Iscar (noms d’emprunt)…et autres enfants de malades mentales, âgés de 1 à 3 ans, venus de Gourcy, Lâ-toden, Boura, Titao, Ouahigouya et Yako y ont également trouvé refuge.

« Nous avons reçu plusieurs enfants de mères malades mentales. Pour sauver la vie de l’enfant, l’action sociale récupère les enfants pour nous les envoyer », explique leur protectrice, Angèle Zida, présidente de l’Association pour la sauvegarde de la femme et de l’orphelin au Passoré qui œuvre depuis 2003 pour la prise en charge des enfants en détresse. Dans son orphelinat, elle leur offre gite et couvert, mais surtout l’amour maternel. « Certaines malades mentales, lorsqu’elles savent que leurs enfants sont dans notre centre, viennent à l’improviste et veulent les récupérer.

Pour une mère qui porte une grossesse pendant neuf mois et se voit arracher, le fruit de ses entrailles, ce n’est pas une chose aisée », marmonne Mme Zida. Après son accouchement, Irène, autre malade mentale, s’opposera à la récuperation de son enfant. Elle campe avec son nourrisson de trois jours sous un arbre à la sortie de Yako. Les deux ne sont pas à l’abri des intempéries.

Les agents du Centre médical avec antenne chirurgicale (CMA), du ministère de l’Action humanitaire multiplient les tentatives pour récupérer l’enfant. Mais elle oppose un niet catégorique et disparait avec le bambin. « Certains enfants sont récupérés le jour de leur naissance. Le temps de finir de traiter la maman, l’enfant est récupéré et placé dans un orphelinat pour éviter que sa mère sache où il se trouve », raconte Angèle Zida.

Aucun suivi médical

« Pour sauver la vie des enfants, l’action humanitaire
les récupère et nous les envoie », affirme la
présidente de l’Association pour la sauvegarde de la
femme et de l’orphelin au Passoré, Angèle Zida.

Sans aucun suivi médical, sans consultations prénatales, les malades mentales courent de nombreux risques avec leur fœtus. Elles s’exposent aux infections, à l’anémie, au paludisme, à la malnutrition et n’ont pas accès à la prophylaxie anti anémique. Ce qui se solde par des accouchements dans des conditions atroces voire mortels. Outre la transmission du VIH à leurs enfants, explique la responsable du service de la maternité du CMA de Yako, Félicia Traoré, elles peuvent mourir d’hémorragies et d’infections lors de l’accouchement.

Pire, elles peuvent donner naissance à des enfants mort-nés ou donner la mort à leurs nouveaux-nés. Pour éviter ces décès, le président de l’Association d’aides aux malades mentaux, Nicolas Sawadogo, depuis 2006, sillonne la ville de Yako et ses environs pour apporter de la nourriture, des vêtements pour bébé, des nattes…aux mères malades errantes. Lébindé, une déficiente mentale, a parcouru, à pied la distance Koupèla-Yako (249 Km) avec sa grossesse.

Trois jours après son accouchement, dans la rue, elle a bénéficié de la « générosité » de Nicolas Sawadogo. « Je l’accompagnais avec son bébé à l’hôpital pour que le nourrisson bénéficie de soins. Mais, elle s’est enfuie de son abri habituel. Lorsque je l’ai retrouvé dans une broussaille, elle m’a dit qu’elle venait de Koupèla. Je l’ai ramenée avec son nourrisson pour rechercher sa famille. Effectivement, après investigations, nous les avons retrouvé », se remémore, le septuagénaire.

En dix ans de service, dit l’attaché de santé mentale et responsable du service de psychiatrie du CMA de Yako, Pascal Ouédraogo, plusieurs malades mentales portant des grossesses non désirées ont eu recours à ses soins. Les patientes en grossesse y sont conduites par des associations de prise en charge pour un traitement psychiatrique. Car, à un moment de la grossesse (après trois mois), souligne-t-il, certains médicaments ne sont plus indiqués. Il explique que cela nécessite une prise en charge psychiatrique, tout en observant les effets du traitement médicamenteux.

Croyances mystiques

Le président de l’Association d’aides aux malades
mentaux, Nicolas Sawadogo offre des vêtements, de
la nourriture…aux déficientes mentales.

« Généralement, si elles sont suivies, elles accouchent sans problème », précise le responsable du service de psychiatrie, Pascal Ouédraogo. « Nous avons déjà récupéré un enfant au marché. Après enquête, nous avons découvert qu’il a été abandonné par une malade mentale », témoigne le Directeur provincial en charge de l’action humanitaire du Passoré, Gaston Nasssouri. A Ouahigouya, le phénomène des viols et les grossesses des malades mentales est criant. Le président de l’Association de prise en charge des malades mentaux, « Sauvons le reste », Adama Ouédraogo mène un combat pour arracher les déficientes mentales des griffes des violeurs.

Elles sont considérées comme des proies faciles, c’est pourquoi, de nombreuses personnes abusent sexuellement d’elles, estime-t-il. « Certains hommes les flattent avec du pain ou autres aliments. Sur 10, 7 seront violées sans qu’elles n’opposent une résistance », affirme-t-il. Plusieurs tentatives de viols sont régulièrement rapportées à ce protecteur des malades mentales. Hama Ouédraogo (nom d’emprunt) a été pris nuitamment en flagrant délit de viol de Estelle. Rejetant en bloc toute pratique mystique, le violeur, marié et père de plusieurs enfants, argue plutôt la satisfaction d’une envie libidinale.

« Je le connais bien. Il m’a supplié de ne rien dire à sa femme, sinon ce sera son exil ou son suicide. Je lui ai demandé en retour de s’assumer en cas de grossesse de la malade mentale. Ce qu’il a accepté. Mais, cette dernière n’est pas tombée enceinte », relate M. Ouédraogo. Dans le centre d’accueil, de transit et de réinsertion socioéconomique pour personnes handicapées psychosociales errantes de l’association « Sauvons le reste », une dizaine de cas de grossesses de malades mentales ont été prises en charge.

Dans la société, la morale agonise, elle est même morte, déplore M. Nassouri. Selon ses explications, ces phénomènes sont liés à la recherche du pouvoir, de l’argent. « Une déficiente mentale, nous a révélé qu’un commerçant a couché avec elle en lui intimant l’ordre de garder le secret. Elle ne voulait donc pas révéler son identité. Au fil du temps, nous avons appris que les affaires de cet homme périclitaient et il lui fallait poser cet acte pour prospérer davantage.Malheureu-sement, elle est tombée enceinte. Mais, elle a attribué la grossesse à un autre qui avait aussi l’habitude de coucher avec elle », a fait savoir Gaston Nassouri. Le sociologue Seydou Konaté affirme que cette attitude traduit la faillite de nos sociétés actuelles.

La croyance d’accéder à la richesse en couchant avec des malades mentales, déplore-t-il, est si ancrée qu’elle constitue un danger pour les victimes. Cette course effrénée à l’argent, soutient-il, est une porte ouverte à toutes sortes d’abus. « S’en prendre à une frange fragile de la population, en l’occurrence, les malades mentales, démontre à quel point nos mœurs sont terriblement en faillite », affirme le sociologue. En attendant, des actions collectives pour le respect des droits et la dignité des malades mentales errantes, les prédateurs sexuels sont toujours dans la nature. Et, les victimes souffrent le martyre avec « le fruit de leur viol ».

Des oubliées de la société

Pour mettre fin à leur double calvaire, la responsable du service de la maternité du CMA de Yako, Félicia Traoré, souhaite qu’elles soient mises sous contraception. « C’est une solution pour stopper ces grossesses non désirées », pense-t-elle. La coordonnatrice de l’Association pour la promotion de la femme et de l’enfant, Bibata Ganemtoré, est du même avis. Zara, une malade mentale a plusieurs fois été violée par des inconnus. A La-toden, où elle errait, elle a donné naissance à plusieurs reprises à des enfants de pères inconnus. « Lors de son dernier accouchement, l’enfant, par manque de soins est décédé. Lorsqu’elle pique sa crise de folie, elle ne s’occupe plus de ses enfants », témoigne la coordonnatrice de l’Association pour la promotion de la femme et de l’enfant. A partir de ce malheureux évènement, elle a été mise sous contraception, confie-t-elle.

« Certaines malades mentales nous disent que les nuits, elles sont considérées comme les autres femmes. Des gens viennent coucher avec elles », raconte Mme Gansonré. Au regard de cette triste réalité, cette dernière insiste pour leur mise sous contraception, sans délai, pour réduire les risques de multiples grossesses non désirées. Arrachées des rues, d’autres malades sont réintégrées dans leurs familles.

Retirés de la rue, ces enfants sont pris
en charge dans un orphelinat au Passoré.

« Nous leur mettons des norplants pour éviter les grossesses avant de les remettre à leurs familles », précise Adama Ouédraogo. Pour mettre fin aux viols et grossesses non désirées des malades mentales, il faut sensibiliser les citoyens pour qu’on protège « ces oubliées » de la société, préconise le président de l’Association « Sauvons le reste ». « Il faudra mettre en sécurité toutes ces malades mentales qui errent dans nos rues, dans un centre de prise en charge pour qu’elles bénéficient de soins appropriés », insiste-t-il. A son avis, l’Etat doit également s’engager à construire des centres pour la prise en charge des malades mentaux.

Adama Ouédraogo souhaite, en outre, qu’une loi soit votée pour punir sévèrement les auteurs de ces agressions sexuelles. Pour l’attaché en santé mentale, Pascal Ouédraogo, il est indigne de coucher avec une déficiente mentale et ce, peu importe la raison. Ces personnes ont besoin, martèle-t-il, d’un soutien psychologique ou d’un traitement adéquat. Les populations doivent être impérativement sensibilisées au fait que les rapports sexuels avec des déficientes mentales ne rendent aucunement riche, lance le sociologue Konaté. L’idéal aussi, avance la présidente de l’orphelinat Wendmibtiri, Albertine Ouédraogo, est de sensibiliser particulièrement, les hommes au caractère avilissant du viol des malades mentales.

Source:Abdel Aziz NABALOUM/ Sidwaya
emirathe@yahoo.fr


Que dit la loi ?

Selon l’article 533-10 du Code pénal, constitue un viol, tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit, commis sur la personne d’autrui par violence, contrainte, menace ou surprise. Il est aussi considéré sous l’aspect psychique de la meurtrissure infligée à une personne et résultant d’une atteinte à la dignité de la victime. Il est puni d’une peine d’emprisonnement de 7 à 10 ans et d’une amende de 600 000 à 2 000 000 F CFA. Mais, la loi prévoit des causes d’aggravations dans un certain nombre de cas. Ainsi, l’infraction est aggravée, lorsqu’elle est accompagnée d’une circonstance tenant de la qualité de la victime. La peine d’emprisonnement encourue est alors de 11 à 21 ans et d’une amende de 1 à
3 000 000 F CFA, lorsqu’il est commis sur une personne dont la particulière vulnérabilité, due à son âge, à une maladie, à une infirmité, à une déficience physique ou psychique ou à un état de grossesse, est apparente ou connue de l’auteur.

Source : Code pénal

De Sidwaya


L’identité à tout prix !

Les pères des enfants retirés des rues, aux mains des malades mentales sont introuvables. Pourtant, ces mômes doivent avoir, un acte de naissance pour jouir de tous les droits humains fondamentaux. En attendant de leur trouver des parents adoptifs, un prénom est attribué à chacun. Pour le patronyme, le nom de famille dominant de la localité où, ils ont été retirés à leurs mères, leur est d’officie attribué pour établir leurs actes de naissance.

A.A.N/Sidwaya

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