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El Hadj Aboubacar Zida dit Sidnaba: un parcours à l’allure d’une école


Dans son fauteuil de PDG, s’exprimant dans un Français approximatif, mais loquace et très ouvert, souriant ou riant aux éclats avec ses visiteurs, nous avons là un autodidacte presque parfait. El Hadj Aboubakar Zida, plus connu sous le pseudonyme Sidnaba, (patron de la vérité en langue nationale Mooré) a presque tout appris sur le tas. Orphelin dès le jeune âge, il a bâti son succès à partir de la rue, puis dans les plantations de café cacao en Côte d’Ivoire où il s’est essayé à moult métiers. Aujourd’hui président directeur général et fondateur du groupe Savane Communication, scénariste et réalisateur de cinéma, mais n’ayant jamais mis les pieds dans une salle de classe, Sidnaba a tout simplement forcé le destin. Nous sommes allés à la découverte de ce personnage atypique.

Né vers 1962 dans la province du Nayala, Aboubakar Zida perdra son père dès le jeune âge. Il ne connaîtra pas le chemin de « l’école du blanc ». Son école, c’est donc l’aventure. C’est aussi ça son héritage. Originaire de Latodin dans la province du Passoré, son grand père, un grand éleveur, a émigré vers la Volta, actuel fleuve Mouhoun. C’est là que naîtra son père et plus tard lui aussi. Son salut viendra de l’aventure. Il en prend conscience très tôt. Obligé de se battre tout seul pour survivre, il entame l’aventure dès l’adolescence. A 12 ans, Sidnaba quitte la famille adoptive. Sans destination précise. Objectif : aller le plus loin possible et pour cela, il faut d’abord atteindre une grande ville. Il pense à Bobo-Dioulasso, la capitale économique. Mais comment y arriver puisqu’il n’avait que 25f en quittant son village ? Le transport Dédougou-Bobo coûtait 500f, Dédougou étant la ville la plus proche de son village.

Sidnaba avait aussi en tête cette phrase que lui a laissée son père avant de mourir : « ne prends jamais quelque chose qui ne t’appartient pas si tu veux réussir dans la vie ». Il se fait donc embaucher par une aveugle dans le village de Douroulou, à une cinquantaine de kilomètres de Dédougou. En dix jours, il obtient son transport. Tellement satisfaite de son travail, sa patronne voulut le retenir. C’était sans compter avec sa détermination. Il observe une grève de faim, puis obtient l’autorisation de poursuivre son chemin. Prochaine destination : Dédougou pour prendre le car qui le conduira à Bobo-Dioulasso.

D’autres obstacles ne tardent pas à se dresser devant l’orphelin aventurier. Le coût du transport vient de passer à 800f. Le fils de sa patronne de Douroula qui travaille dans une boulangerie à Dédougou lui offre deux miches de pain. « C’était la première fois que je mange du pain chaud », se souvient-il. Ce pain lui servira de repas pour deux jours de marche. Il passe la première nuit dans un arbre en pleine brousse. Puis arrive à Ouarkoye où il se fait embaucher par un vendeur de bois. Son budget atteignant 925f, Aboubakar peut rejoindre la capitale économique. A Bobo, il passe la nuit à la gare. Le lendemain, il obtient un emploi de fabrication de briques où il est payé à 50f/jour à quelques encablures de la ville.

Le déclic ?

Quelques jours plus tard, il demande et obtient l’autorisation de retourner à Bobo pour acheter des culottes. Il porte l’une des culottes nouvellement achetées dans le magasin et revend la seconde quelques minutes plus tard à 4 fois son prix d’achat. Une bonne affaire ! Il retourne chez le vendeur s’approvisionner et se transforme en revendeur ambulant. Fini donc la fabrication de briques. Il passe ses nuits avec un veilleur de nuit. Au bout de la 4e nuit, on lynche un voleur à mort sous ses yeux. Choc traumatisant. Il change de « dortoir », va de quartier en quartier pour atterrir finalement au pont d’Accart-ville où il passe la nuit pendant quelques mois. Dès qu’il obtient assez d’argent, il quitte son pays natal pour se retrouver à Bouaké en Côte d’Ivoire. Puis, ce sont les champs de plantation de café, de cacao et d’hévéas qui l’accueillent.

Moi comme ça là avec 700 000f ?

« Conducteur de Bull, scieur, commis-marqueur, boussolier…, dans les sociétés forestières, il n’y a pas de travail que je n’ai pas fait », avoue-t-il. Heureusement, il apprend vite et bien. A moins de 20 ans, à une vingtaine de kilomètres de la frontière du Libéria, Sidnaba obtient son premier plus gros contrat dans la boussole. 700 000f CFA. En moins d’un mois, il a fini le travail. Après contrôle, tout est parfait. Il se rappelle encore l’émotion, les inquiétudes qu’il vécut le jour du paiement. L’attente parut une éternité (de 7h à 17h puisqu’on procédait par ordre alphabétique et son nom commence par la lettre Z). Puis, enfin « le comptable sort l’enveloppe, me demande de compter avant de signer. Je n’ai pas pu compter, je tremblais », se souvient-il comme si c’était hier. Inutile de dire qu’il n’a pas dormi cette nuit là. « Moi comme ça là avec 700 000f » ? Il avait du mal à se convaincre de la réalité de ce bonheur.

Cet argent lui sert à acheter sa première plantation de café cacao. Après quelques années dans cette plantation, Sidnaba décide de rentrer à Abidjan pour ouvrir une boutique. Il acquiert par la suite une parcelle à Yopougon. 
Sentant les prémices de la xénophobie qu’allaient vivre ses compatriotes une dizaine d’années plus tard, il décide de revenir au bercail. Après 13 ans au pays de Houphouet Boigny. Au moment où ses affaires prospéraient, il bazarde sa boutique et plusieurs autres biens, conserve néanmoins la cour qui est toujours là, en son nom, et rentre à Ouagadougou en septembre 1987.

Certains n’hésitèrent pas à le qualifier de fou. Et pourtant… sans être divin, il avait vu juste. Depuis le début de son aventure, son intuition l’a toujours poussé à prendre la bonne décision au bon moment. « Si vous voulez savoir ce que sera un pays dans 20 ans, il faut regarder le comportement des enfants (10 à 15ans) d’aujourd’hui. C’est l’image du pays dans 20 ans », nous confie-t-il. 
La vie à Ouaga est difficile. « J’ai rallé jusqu’à la construction du grand marché où j’ai obtenu du boulot puisque je maîtrisais les machines ». Après, c’est la Caisse générale de péréquation puis le bâtiment ministère de la communication. Et, plus rien pour l’entreprise SETAO dans laquelle il travaillait. Retour à la débrouillardise pour l’aventurier qui a suffisamment muri.

La radio, l’étape décisive

Accroc des contes et de la radio, Sidnaba prend attache avec l’animateur principal de l’émission de « conte en Mooré » à la radio nationale. Les deux premières semaines, il assiste. Au bout de la troisième semaine, il propose de déballer son sac à contes. Il impressionne l’animateur mais aussi et surtout les auditeurs. Ce qui l’encourage à continuer, en bénévole d’abord. Puis, une émission d’humour en Mooré à la télévision nationale (wakat N’Da Bé) lui est confié. Il anime aussi une émission à la radio rurale. Avec l’ouverture de la première radio privée du Burkina (Horizon FM) le 31 janvier 1990, il est tout naturellement sollicité pour animer des émissions en Mooré. Il en crée plusieurs dont le journal parlé.

Le 30 Novembre 1992, il fait ses valises de Horizon FM pour une société de bonbonnerie, NOCOB (nouvelle confiserie du Burkina). Il ne délaisse pas pour autant la radio. Sidnaba prête main forte à radio Energie qui ne survécut pas au décès de son principal bailleur Sankara Inoussa, par ailleurs patron de NOCOB. Alors, pour satisfaire sa passion, Sidnaba, en collaboration avec quelques amis, décide de la création de radio Savane FM. Le 11 octobre 1999, Savane FM commence à émettre sur 103.4 Mhz à Ouagadougou. Plus tard, naitront Savane FM Bobo puis Savane FM Gourcy (à une soixantaine de kilomètres de son village d’origine Latodin).

Priorité aux langues de proximité

Au Burkina, on compte une soixantaine de langues. Pourtant seulement une dizaine est parlée à la radio nationale du Burkina. Pourquoi donc l’appellation radio nationale ? S’interroge Sidnaba. « C’est le Français qui doit être minoritaire à la radio nationale parce que c’est ceux qui parlent le Français qui sont minoritaires au Burkina », estime-t-il. Il décide donc de rectifier le tir avec la naissance de Savane FM en mettant l’accent sur les langues de proximité. A Savane FM Ouaga et Gourcy, c’est le Mooré qui occupe l’essentiel du programme, à Savane FM Bobo, c’est le Djoula. Ce qui permet de faire partie des radios les plus écoutées dans ses zones de couverture. Sidnaba est lui-même présentateur du journal en Mooré à Ouagadougou.

Et là, il est très apprécié des auditeurs et constitue l’une des sources les plus « crédibles » pour les ouagalais.
Mais les nouvelles décisions prises par les autorités en charge de la régulation de l’espace médiatique burkinabè ne sont pas du goût de Sidnaba et il ne passe par quatre chemins pour le dénoncer. 500w, 4 dipôles, 60 m de hauteur pour les mats, ce sont les nouvelles dimensions à ne plus dépasser par les radios FM. « Je ne suis pas un technicien supérieur de la communication mais ceux qui se sont basés sur les aspects techniques pour produire ces décisions là doivent revoir leurs copies », s’insurge-t-il. Ceux qui étaient au-delà de ces dimensions, dont Savane FM, furent obligés de réduire leur zone de couverture pour être en phase avec la nouvelle mesure. « Nous sensibilisons, nous conscientisons, je crois qu’on fait moins de mal hein ! », s’attriste-t-il, abattu.

L’autre aspect de la décision, c’est l’interdiction des relais pour les radios FM. Une mesure discriminatoire, d’autant plus que les radios internationales implantées au Burkina ne semblent pas concernées. En tout cas dans les faits. « Si on peut favoriser les radios étrangères, pourquoi pas nous ? », s’interroge Sidnaba. 
En plus des trois radios FM, le groupe Savane Communication compte aujourd’hui, en son sein, une agence de publicité et de production audiovisuelle. Le journal satirique, « Kolokolo », lui est suspendu après une année de fonctionnement. Un quotidien et une télévision viendront bientôt renforcer le groupe, annonce le PDG Sidnaba.

Le cinéma, l’autre film de sa vie

Autodidacte comme Sembène Ousmane, Sidnaba cherche aussi à suivre les traces de ce dernier dans le cinéma. Il est, tout comme l’homme aux 36 métiers, scénariste et réalisateur. Après une tentative avortée en 1996, Sidnaba attend le moment opportun pour s’engager véritablement. En 2003, il prend des risques démesurés en s’appuyant sur l’adage Mossi qui dit : « si tu veux apprendre à dépiécer une chèvre, il faut tuer la chèvre de ta maman pour essayer ». Il va voir sa banque, hypothèque sa première villa de Ouagadougou, contracte un prêt pour l’achat du matériel de tournage de film. N’ayant plus d’argent pour la prise en charge de l’équipe technique, ce cinéaste d’un autre genre décide de faire un travail de « fou ».

« Je déclenche la caméra, je rentre dans le champ, je joue et je reviens couper », nous confie-t-il entre deux éclats de rire. Pour son premier film « Cité pourrie 1 », il est donc à la fois scénariste, comédien, cadreur, monteur et réalisateur… Malgré la piètre qualité technique du produit, il décide de le projeter au ciné Neerwaya, la plus grande salle de cinéma du Burkina. Mais, « n’étant pas sûr de la qualité du produit, j’avais honte d’aller en salle », avoue-t-il. Jusqu’au jour où, par hasard, il passe devant le lieu de projection. Surprise heureuse. Le parking contient difficilement les engins des cinéphiles. 
Le public se retrouve véritablement dans le film si bien qu’en deux semaines de projection, il parvient régler le prêt contracté en banque. Ce qui l’encourage à continuer. Suivent alors « La cité pourrie 2 et 3 ». Il revient en 2005 avec « Ouaga Zoodo », en 2006 avec « Mathy la Tueuse ».

En 2007, il réalise « Wiibdo », « un fantôme dans la ville » en 2008 et « Somzita, l’ingratitude » en 2010. Même si les professionnels du cinéma ne manquent pas de critiques vis-à-vis de ces films, paradoxalement, le public en raffole. D’ailleurs, pour Sidnaba, c’est le message qui compte.

Mais avant le cinéma, cet éveilleur de conscience du peuple s’est intéressé au théâtre. Il a, à son actif, deux films radiophoniques : Kouka masmè (104 épisodes) et la cité des singes.
Musulman pratiquant depuis son jeune âge, Sidnaba a effectué trois fois le pèlerinage à la Mecque. Mais « je ne suis pas intégriste », se presse-t-il d’ajouter lorsque nous abordons la question de la religion avec lui. El Hadj Aboubakar Zida a célébré cette année le 20e anniversaire de son mariage. Il est père de plusieurs enfants qui vont tous à l’école.

Moussa Diallo/Faso-tic.net

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