.
.

L'actualité, en toute intégrité

.

Burkina Faso:  »le renseignement ne doit pas servir à créer des relations mercantiles avec les acteurs du terrorisme » Rémis Fulgance Dandjinou


Le samedi 17 mars 2018, lors de l’émission de TV5, Afrique presse, consacrée à l’actualité africaine et internationale de la semaine, Jean-Baptiste Placa, éditorialiste à RFI et Maria Malagardis de Libération avaient pour invité le ministre de la Communication et des relations avec le Parlement, porte-parole du gouvernement, Rémis Fulgance Dandjinou. Les questions abordées ont concerné essentiellement la situation sécuritaire au Burkina Faso. Dans cette retranscription sous forme d’interview, nous vous proposons la quintessence des échanges.JPEG - 19.6 ko

TV5. : En l’espace de deux ans, c’est la troisième attaque terroriste à Ouagadougou. A ce jour, sur l’ensemble du territoire, on en compte près d’une centaine. Preuve qu’après le Mali, le Burkina Faso est devenu le ventre mou du Sahel ?

Rémis Fulgance Dandjinou (R.F.D.) : Nous avons certes enregistré trois attaques dans la capitale burkinabè. Deux ont été revendiquées, notamment l’attaque du café Cappuccino et celle du 2 mars dernier. L’attaque du café Aziz Istanbul, elle, n’a pas été revendiquée. Mais, je ne pense pas que le Burkina Faso soit le ventre mou du Sahel. L’aspect ventre mou me paraît difficile à admettre parce que vous avez un pays qui, pendant 27 ans, a été exclu des enjeux terroristes, parce que simplement il servait de base-relais pour un certain nombre d’acteurs terroristes. Et aujourd’hui, précisément depuis 2016, ce pays change de vision. Nous voulons construire notre démocratie sur des valeurs et nous n’avons pas besoin d’être le repli de ces groupes terroristes. Je dirai plutôt que le Burkina est la cible, parce que c’est un pays qui a décidé de changer sa façon de collaborer. Le Burkina est la digue parce que sans lui, des pays de la zone côtière seront facilement touchés par les attaques terroristes. C’est pourquoi je ne pense pas que nous constituons le ventre mou.

TV5. : Néanmoins, n’y a-t-il pas quand même une certaine fragilité sécuritaire du Burkina et d’autres pays du Sahel ?

R. F. D. : Il y a un fait. C’est que ces attaques à Ouagadougou posent un certain nombre de questionnements. Après, la question de l’Etat-major général est complètement différente. Vous savez, il y a un processus en cours dans notre pays depuis 2016 et qui nécessite que des acteurs, notamment militaires, soient redéployés. L’Etat-major aujourd’hui est une bâtisse en plein centre-ville parce que pendant longtemps, il n’a servi à rien. Pour la simple raison que le régime Compaoré avait installé autour de Kosyam, le Palais présidentiel, les éléments militaires qui assuraient le pouvoir. Le Président Roch Marc Christian Kaboré arrive, il prend la décision de ne pas nommer de militaire à la défense et de remettre les institutions dans leur état. Après, il y a un processus de sortie de ces éléments de Ouagadougou, malheureusement cela n’a pas pu se faire avant que ces attaques n’interviennent. Un autre aspect important c’est qu’effectivement ça pose un certain nombre de problèmes. Problème notamment dans l’espace, mais problème également de montée en puissance des différentes armées. Et il est important de rappeler que ce qui se passe au Niger ou au Burkina se passe aussi ailleurs, même si ce n’est pas forcément sur les mêmes cibles, mais avec parfois des impacts beaucoup plus graves. C’est pourquoi je crois important que les acteurs qui accompagnent ces pays-là prennent soin de bien le faire, d’autant plus que rien ne sert aujourd’hui de fragiliser des pays comme le Burkina Faso, le Niger ou le Mali. Sans ces pays, il est difficile de gérer efficacement la lutte contre le terrorisme au Sahel. Je dis cela parce que de plus en plus de bruit se fait entendre que le Burkina, qui a une bonne partie de son territoire placée en zone rouge, risque d’avoir sa capitale inscrite dans cette zone. Je crois que cela est d’un ridicule extraordinaire. J’ai l’impression que l’on veut fragiliser des Etats plutôt que de les accompagner dans le processus de lutte contre le terrorisme. Ce qui peut être dangereux pour l’ensemble de l’espace ouest-africain.

TV5. : Sur la gestion de la sécurité par les autorités du pays, les Burkinabè sont très critiques, je vous propose d’écouter notre correspondante, Fanny Nouaro, à Ouagadougou.

Fanny Nouaro : «Au-delà de l’enquête de savoir s’il y a eu des failles, nombre de Burkinabè ne comprennent pas l’attitude du gouvernement. Lors de l’inhumation des victimes, nombre de personnes présentes confient ne pas comprendre pourquoi il n’y a pas eu de deuil national ni de drapeau en berne, pourquoi le président Roch Marc Christian Kaboré a-t-il attendu trois jours pour se rendre sur les lieux des attaques. Il y a également eu des débats qui ont fait quasiment l’unanimité dans les médias, notamment sur la délocalisation de l’Etat-major et des enceintes militaires parce que nombre d’entre elles se trouvent en centre-ville. Des inquiétudes qui pourraient avoir été entendues puisqu’il y a une semaine, dans le journal Le Pays, le ministre de la Sécurité, Clément Sawadogo, indiquait que certaines casernes nécessiteraient une délocalisation. »

TV5. : Monsieur le ministre, une réaction à propos de ce qu’a dit notre correspondante à Ouagadougou, Fanny Nouaro.

R. F. D. : Pour ce qui est de la délocalisation des casernes, nous en avons déjà parlé. A Ouagadougou, nous avons quatre camps essentiellement. Deux qui sont en extrémité de la ville et deux autres au cœur de celle-ci, notamment le camp Guillaume-Ouédraogo et celui de gendarmerie de Paspanga. Ces deux derniers sont en projet d’être sortis de la ville. Il y a le projet de construction de l’Etat-major qui n’a pas pu se faire avant les attaques du 2 mars. L’autre question abordée par votre correspondant est relative à la présence du président Kaboré sur les lieux des évènements. Les attaques ont eu lieu vendredi. Le samedi, le Premier ministre, Paul Kaba Thiéba, était sur les lieux. Il a pris position sur les questions à 13 h sur les médias nationaux. Il y a ensuite tout un travail qui a été fait.

TV5. : Le président Roch Kaboré s’y est rendu quelques jours après avec ses homologues du Niger et du Togo… ?

R. F. D. : Le Premier ministre est allé le lendemain sur les lieux des attaques. Il y avait des questions sécuritaires évidentes. Il ne faut pas oublier qu’au niveau de l’Etat-major général des armées, c’est une attaque perpétrée avec une voiture piégée qui nécessitait un certain nombre d’attitudes à avoir en termes de sécurisation du site. Le président s’y est rendu le lundi avec ses homologues du Niger et du Togo. La polémique n’est pas à ce niveau. Il y a un travail qui est fait. C’est ce qui est important.

TV5. : La vulnérabilité du Burkina Faso ne s’explique-t-elle pas par le fait qu’après la dissolution du Régiment de sécurité présidentielle (RSP), il n’y a pas eu de réforme globale de l’armée comme elle était prévue ?

R. F. D. : Il y a une réforme globale de l’armée qui est prévue. Une loi de programmation militaire qui a été adoptée.

TV5. : Mais elle n’est pas effective, cela fait deux ans…

R. F. D. : Non. Elle est effective. La loi de programmation militaire a été adoptée. Il y a un redécoupage au niveau du système sécuritaire qui a été mis en place. Il y a des changements dans les régions militaires qui ont été opérés ainsi qu’au niveau de l’Etat-major général des armées. Le RSP n’est pas la sécurité du Burkina. C’est le régiment qui assurait la sécurité d’un homme et de son régime, mais pas la sécurité du Burkina Faso. Il est clair qu’à l’intérieur vous aviez des soldats qui avaient été formés pour entrainer des djihadistes. Il y en a qui l’ont fait avec le général Gilbert Diendéré. Il y a des soldats qui ont été formés pour faire des coups-bas à des pays de la sous-région. En ce moment, à Ouagadougou, il y a un procès sur les anciens du RSP qui se sont battus au Libéria, en Sierra Leone. Donc, il faut faire attention. Il est vrai que ces personnes étaient formées mais ce n’était pas pour la sécurité du Burkina. Après, il est évident que lorsqu’on sort d’une telle situation qui a duré 27 ans, il y a forcément du chemin à faire pour mettre en place une armée qui soit républicaine et au service d’une nation. On aurait pu, d’une manière ou d’une autre, reconvertir certains éléments du RSP, en dehors des chefs qui sont impliqués dans des procédures judiciaires en cours. Si le Burkina a échappé aux attentats, à toutes sortes d’attaques terroristes par le passé, ce n’est certainement pas parce que le régime de Blaise Compaoré était d’une efficacité redoutable de ce point de vue. C’est tout simplement que ceux qui attaquent aujourd’hui étaient des amis du pouvoir en question. Et ça c’est quelque chose de rédhibitoire. Ou vous êtes amis de ces gens et ils vous ménagent par rapport à d’autres, ou vous les persécuter et ils vous ciblent. Je ne pense pas qu’on fasse allusion à la disparition du RSP pour expliquer les attaques djihadistes.

TV5. : Mais, il n’y a pas de sécurité sans renseignement ; on sait quand même que le RSP s’occupait beaucoup du renseignement ?

R. F. D. : De quel renseignement s’agit-il. Nous avons créé l’Agence nationale de renseignement qui est bâtie sur un principe de redevabilité avec une loi qui est présentée à l’Assemblée nationale avec un certain nombre d’éléments pour la nomination de ces acteurs. Le renseignement ne peut pas tenir à une personne, à un être aussi doué soit-il. Il tient aussi en une structure qui va être pérenne. Il est clair qu’avec le départ de Diendéré, dans ce modèle, s’effondrent les éléments, mais il faut le reconstruire sur des éléments qui sont beaucoup plus structurants et beaucoup plus pérennes et démocratiques. Il faut pouvoir regarder ce qui est fait et comprendre comment c’est fait et ensuite pouvoir l’utiliser à bon escient. Le renseignement ne doit pas servir à créer des relations mercantiles avec les acteurs du terrorisme ou utiliser ces éléments pour dominer les populations dans son ensemble.

TV5. : Comment vont évoluer les relations avec votre pays voisin qui est la Côte d’Ivoire qui abrite l’ancien chef d’Etat, Blaise Compaoré, soupçonné d’avoir des relations avec les terroristes ?

R. F. D. : Sur cette question c’est la procédure judiciaire qui va nous clarifier les choses. Il y a aujourd’hui des éléments au niveau du procureur Maïza Sérémé qui laissent penser que nous avons des personnes qui pourront nous expliquer sur ce qui s’est passé. Les sentiments que les Burkinabè ont, peuvent être justifiés par le fait qu’ils ont vu pendant une dizaine d’années que ceux qui revendiquent les attaques vivaient avec le président. En ce moment vous ne pouvez pas empêcher ces Burkinabè de dire que ce ne sont pas ces gens à qui on a donné le gite et soignés qui nous tapent lorsque le président (NDLR : Blaise Compaoré) est parti. Ils l’ont d’ailleurs dit de façon claire et nette. Pour la Côte d’Ivoire, je n’ai pas d’inquiétude car les Etats sont suffisamment responsables pour assumer ces questions-là et que si jamais le président Compaoré était mis en cause à la suite des évènements, il faudrait peut-être que les Ivoiriens en tirent les conséquences. Mais ce qui est évident, on ne l’a jamais entendu prendre position pour se plaindre ou pour au moins présenter ses condoléances. Il a une fois eu un communiqué pour dire qu’il n’était pas d’accord avec les accusations, mais c’est parce que justement il y a eu ces accusations. Pour quelqu’un qui est Burkinabè et qui se dit fier de ce qu’il est, on aurait pu s’attendre à autre chose qu’à cette attitude.

TV5. : Si le Burkina a des éléments de preuves, plus concrets, le moment viendra où il faudra les mettre sur la table, pour que la Côte d’Ivoire puisse aussi se prononcer, parce que si le Burkina craque, la Côte d’Ivoire paie ; elle sera livrée aux djihadistes.

R. F. D. : Je l’ai dit en début de propos, le Burkina Faso est une cible, mais aussi une digue. Contrairement aux autres pays, au Burkina Faso, nous n’avons pas ces questions d’opposition qui peuvent susciter une fraction de la population au niveau ethnique ou religieux. Beaucoup de pays partagent, par contre ces difficultés, où ces questions peuvent très rapidement prendre des proportions incroyables. Pour ce qui concerne les éléments de preuves, nous croyons fermement en la justice de notre pays. Elle va les mettre à disposition. Il y a des choses qui paraissent évidentes, sur lesquelles la justice va travailler et nous espérons simplement que face à ses décisions, chacun en tirera les conséquences.

TV5. : En recevant les membres de la CODER, le 13 février dernier, le président Roch Kaboré a dit qu’il n’y a pas d’incompatibilité entre la justice et la réconciliation, que faut-il comprendre ?

R. F. D. : C’est tout à fait la logique de son propos. Nous avons connu des situations et il paraît important aujourd’hui de dire ce qui s’est passé, de rendre le droit et de voir comment nous construisons cette réconciliation. Mais il est hors de question que nous reconstruisions cette réconciliation sur l’absence de justice et de vérité. Les procès qui sont en cours en ce moment, tant sur le coup d’Etat de 2015 que sur le gouvernement Compaoré, vont permettre de tracer toutes ces situations et de créer la transparence sur les faits et pouvoir rendre justice. On va se réconcilier, mais pour moi, la réconciliation touche des acteurs politiques en réalité, parce que ceux qui ont besoin de justice, ce sont des familles, des Burkinabè qui, pendant des années, ont perdu des êtres chers. Ils ont été touchés, blessés, et ont vu parfois leur destin brisé par des violations de droit, par des préemptions au niveau économique. Donc, la réconciliation c’est pour les acteurs politiques en particulier, parce que je ne vois pas de cassure si nette dans le pays, qu’on doit parler de réconciliation en dehors de celle qui peut réunir les acteurs politiques. En dehors de cela, les Burkinabè ne sont pas divisés sur ce qui s’est passé. Ils aspirent tous à un bien-être social, et surtout à un fonctionnement démocratique. Seules la vérité et la justice peuvent parfaire le processus.

TV5. : Est-ce que, bien plus que la réconciliation, le plus grand risque n’est pas un certain désenchantement par rapport au renversement du régime de Blaise Compaoré ; ce qui, face aux défis du terrorisme, fragilise peut-être le pouvoir actuel ?

R. F. D. : Je suis d’accord avec vous qu’il y a des attentes qui ne sont pas satisfaites au niveau de la population. C’est évident que tout ne peut pas changer en deux ans et demi ; d’autant plus que ces attaques terroristes participent à la fragilisation du processus en cours. Il y a nécessité de redéployer les ressources pour faire face à cela. Et lorsqu’un pays comme le nôtre redéploie ses ressources, il y a forcément des secteurs qui en pâtissent.

Propos transcrits par :
Alassane KARAMA
Daniel ZONGO
Assetou BADOH
Anselme KAMBIRE
Abdoulaye BALBONE

Share Button

Avis

  • Total Score 0%
User rating: 0.00% ( 0
votes )



Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée.