Trois gendarmes tués, un sous-préfet enlevé, et des violences enregistrées dans d’autres localités. C’est le triste bilan enregistré lors de heurts [en région anglophone] qui ont donné un goût de fiel à la commémoration de la “fête de la Jeunesse”, célébrée ce dimanche 11 février par les autorités camerounaises. [Cette journée fériée correspond à la date anniversaire du référendum qui a réuni francophones et anglophones camerounais en 1961, une journée transformée en 1966 en “fête de la Jeunesse”].

Le Cameroun s’embrase-t-il inexorablement sur fonds de velléités sécessionnistes des anglophones qui, malgré les menaces du pouvoir et les représailles parfois disproportionnées de l’armée à leur encontre, avaient proclamé [le 1er octobre] l’indépendance de leur région [rebaptisée l’“Ambazonie”], vis-à-vis [du pouvoir central] de Yaoundé ?

COURRIER INTERNATIONAL / THIERRY GAUTHE

Certes, cette émancipation politique des zones anglophones [régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest, à la frontière avec le Nigeria] n’est que symbolique, mais elle constitue bien l’expression d’une partie de la nation camerounaise [20 % de la population] dont les autorités réclament jalousement et peut-être encore naïvement, l’unicité et l’indivisibilité. [Dans un discours à la nation samedi 10 février, le président Paul Biya a jugé que la situation s’était “stabilisée” dans les régions anglophones].

Que valent des déclarations de patriotisme et de nationalisme dans un pays dont des habitants revendiquent leur indépendance parce que se sentant mis au ban de la marche de la société ? Visiblement, les anglophones sont déterminés à aller jusqu’au bout de leurs revendications et le prouvent par des actions réprimées sans état d’âme par les professionnels des armes mais toujours réitérées [près de 33 000 personnes fuyant les violences, se sont réfugiées au Nigeria].

Politique de l’autruche de Paul Biya

À moins d’avoir délibérément opté à fond pour la politique de l’autruche, le pouvoir de Paul Biya doit accepter de faire face à la réalité et de soigner pour de bon cette gangrène qui pourrait bien conduire à l’amputation du Cameroun, de ses parties anglophones.

S’il faut reconnaître que l’élan indépendantiste ne date pas d’aujourd’hui, il faut aussi, sans aucune intention de notre part de l’encourager, faire le constat que Paul Biya et son gouvernement l’ont peu pris au sérieux, pensant sans doute en venir à bout par les menaces, la force des armes et l’usure. [Fin janvier, le chef de file du mouvement séparatiste, a été arrêté au Nigeria avec 46 militants, puis extradés vers Yaoundé, pour faire face à la justice].

Une présidentielle fin 2018

Mais rien n’entame l’engagement des partisans de la sécession qui choisissent toujours des commémorations de grand symbole pour manifester leur mécontentement. Preuve que les manifestations ne relèvent pas de la spontanéité mais d’une action bien pensée, avec un dessein bien précis. Les forces armées ont nié les accusations d’exactions portées contre elles, et le pouvoir de Yaoundé est excédé par ces manifestations sécessionnistes.

Pourtant, l’heure n’est plus aux dénégations fébriles, mais plutôt à des négociations où la bonne foi devrait être la chose la mieux partagée pour sauver encore ce qui peut l’être. D’autant plus dans un Cameroun confronté aux attaques terroristes et où la contestation monte de plus en plus contre le pouvoir sans partage depuis plus de 35 ans, de Paul Biya [qui fêtera ses 85 ans ce 13 février], et dont la présence dans son pays constitue un événement [il est régulièrement absent, vivant une partie de l’année en Suisse].

Morin Yamongbe/courrierinternational.com